Le Festival de Carcassonne se refait une santé et accueille une légende du Rock : Jack White. Un show splendide entre Punk, Rock et Folk. Un passage en revue bleu électrique de la riche carrière du gamin de Detroit sur la superbe scène du théâtre Jean Deschamps. Le rock investit le Moyen-Age, Jack White le Wisigoth du Rock fait trembler les remparts centenaires de la vieille cité. Historique !
C’est en pays Cathare, frérot. Dans ces Corbières sauvages, pleines de caillasses brûlantes, de châteaux en ruines et de superstitions d’un autre temps. Dans ce Sud sauvage et indomptable que j’aime tant, c’est donc là, dans la fière cité médiévale de Carcassonne que ce mardi 12 juillet 2022 je décidai de m’arrêter.
Je ne m’arrêtai pas par hasard dans la sublime cité Audoise. Je ne m’arrêtai pas pour visiter ces remparts centenaires, ces ruelles étroites pleines d’histoires, de sang et de sueur, ces tours de guet majestueuses plantés dans le sol par des humains en sabots et dont de nombreuses guerres n’ont pu réussir à entamer la solidité. J’y allais simplement pour un festoche.
Le festival de Carcassonne ne m’était pas tout à fait inconnu, je dois l’avouer. En 2013, j’avais fait le – court – trajet pour aller voir les Arctic Monkeys sur leur tournée de l’album AM… mais depuis, plus rien. Plus de visites estivales dans cette cité que j’aime tellement. En effet, le festival ne m’offrait plus le miel dont je souhaitais me délecter. Patrick Bruel, Christophe Maé, Francis Cabrel ou encore Calogéro étaient devenus le lot de ce festoche pourtant si agréable. Car, il faut l’avouer, le spot est juste sublime et l’acoustique franchement spectaculaire… mais le théâtre Jean Deschamps, situé sur l’emplacement de l’ancien cloître Saint-Nazaire, semblait avoir perdu de son mordant Rock, cette étincelle électrique qui enflamme ces concerts et vient foutre le rifle à ton slibard.
Alors quand un beau matin, je vis le doux nom de Jack White accolé à celui de Carcassonne apparaître sur mes écrans, mon sang ne fit qu’un tour. Billet en poche, en avant pour la cité fortifiée occitane pour mon tête à tête avec le grand rénovateur du Rock 00’s. C’est un rendez-vous particulier pour tout amateur de Rock saignant que cette rencontre avec le grand Jack. C’est le souvenir de morceaux qui t’ont pris aux tripes. Du Rock Garage un peu craspec avec les White Stripes aux relents Folk et Country d’une Americana musicale avec les Raconteurs, du Rock Indie aux nombreuses influences avec le supergroupe The Dead Weather en passant par les albums solo du grand Jack, un poil polissé, mais dont le tout dernier – Fear of the Dawn – offrait aux oreilles des rockers du monde entier un Hard Rock léché aux sonorités quasi-expérimentales qui laissait augurer un spectacle des plus intéressant.
Et ça n’a pas manqué ! C’est le duo Nantais Ko Ko Mo qui est venu ouvrir la soirée : quoi de mieux qu’un duo pour la première partie du créateur du duo Rock le plus célèbre du genre ? Quand les Stripes crachaient un Punk Rock sale comme un peigne et des stridences électriques à te faire sauter l’oreille interne, Ko Ko Mo, eux, balancent un Hard Rock zeppelinien aux douces effluves seventies : la guitare saturée et en pleine liberté de Warren Mutton et la batterie nerveuse, survitaminée, de Kevin « K20 » Grosmolard offrent un joli retour dans ces années 70 bénies des Dieux. Un lever de rideau pile-poil dans la thématique de la soirée.
Après une petite heure à se faire rincer les esgourdes au bon gros Hard Rock made in France qui tâche bien la liquette, le silence revient, presque instantanément. Les roadies, chapeaux mous sur la tête, arrivent en courant et commencent le montage du set de Jack. C’est le bleu qui s’empare de la scène ! Décors, lights, guitares – toute une panoplie de Fenders créées spécialement par la marque pour les doigts virtuoses du grand Jack – le bleu inonde la scène du Théâtre Jean Deschamps et baigne le public dans une étrange ambiance ouatée.
Les derniers réglages effectués, les lumières s’éteignent doucement avec les dernières lueurs du jour, laissant les deux énormes tours médiévales se découper sous un ciel sans nuages; quand soudain un riff de guitare semblant venir d’un autre monde retentit dans le théâtre de pierre. Kick Out The Jams des mythiques MC5 vient bourdonner dans les amplis et c’est l’arrivée sur scène de Jack. C’est le gamin de Detroit qui rend hommage à Detroit. C’est le refondateur d’un Rock presque oublié qui vient ôter son chapeau devant les glorieux et bruyants ancêtres d’un Punk en devenir.
Cheveux bleus électrique ébouriffés, Jack se jette sur la scène et magnétise en un instant un public totalement acquis à sa cause. C’est Taking Me Back, le morceau titre de son très bon dernier album, qui vient allumer la mèche de la Fender bleu clair de la star. Jack enchaîne les titres de ses albums solo, ces albums mitigés (excepté son dernier qui est une vraie réussite), ce Rock en demi-teinte qui prend une autre dimension en live. Ces morceaux que l’on écoutait d’une oreille distraite sur le canap’ du salon prennent des couleurs sur la scène Audoise. Ce Bleu, ce code couleur qui colle à la carrière solo de Jack White prend enfin vie, délaissant cette froideur musicale, ce côté ciselé, surtravaillé des enregistrements studios. Ce bleu au fil du set, va doucement virer au rouge. Le rouge de la passion, de l’énergie, celui des White Stripes ! The Hardest Button to Button, Hello Operator ou Astro nous ramènent quelques années en arrière, ces années où le grand Jack évoluait en duo avec Meg et crachait un Punk Rock cradingue tout droit sorti du garage familial. Le punch est toujours là, Jack s’en donne à cœur joie, reprend ses vieux classiques avec l’énergie du débutant et une disto’ – presque – sale, grésillante à souhait. Je dis bien « presque » car le bonhomme ne laisse plus rien au hasard, surtout son son. Une équipe technique sur le qui-vive, des ingés son investis, pointus, qui soignent le son White jusque dans ses moindres détails. Il faut dire que le gars touche à tout (guitare, basse et piano (batterie également, mais pas cette fois-ci) et semble exceller dans tous les domaines. Tous les domaines, y compris la voix ! Cette voix aiguë, fragile, cassante et pourtant tellement solide, tellement puissante. Comme si Robert Plant avait bouffé 40 piges de Punk Rock.
La cavalcade Rock continue sa ruée sous un ciel carcassonnais d’un noir clair, limpide et sous une chaleur écrasante. C’est avec les Dead Weather et son sublime I Cut Like a Buffalo que Jack poursuit son odyssée. L’autre gros projet de Mister White n’est pas en reste ! Les Raconteurs et leur Country-Folk mâtiné de gros Rock qui tâche est également à l’honneur avec You Don’t Understand Me et l’énorme Steady as She Goes. Un passage en revue de tout ce qui constitue Jack White, toutes ses facettes musicales, un CV gavé d’électricité condensé en un concert. Un set jouissif, un Jack qui au fil du show semble lâcher son obsession du contrôle et se laisse porter vers un final en totale synergie avec un public chauffé à blanc, avec une reprise intense du tube des White Stripes, de cet hymne générationnel qui fait gueuler Rockeurs en sueur, pucelles de 16 ans et rugbymen à 3 grammes: le monolithique Seven Nation Army.
Un final superbe, en pleine communion avec un public totalement conquis. Jack White à grands coups de riffs rageurs et de soli pleins de stridences a fait s’envoler les questions, les doutes que ses albums en solitaire (excepté le dernier, je le répète) avaient laissé planer chez ses adorateurs. Malgré une – trop ? – grande maîtrise de lui-même, cet obsédé du contrôle lâche un show parfait, tiré à quatre épingles où la froideur intrinsèque de ce bleu Whitien s’estompe doucement, laissant apparaître sous le vernis trop brillant le rouge feu Stripien. Un Must !
Texte : Renaud ZBN