Avec un propos dénonciateur d’une rare violence pour un film pour la jeunesse, La Petite Bande, en dépit de maladresses explicables par le grand écart entre son sujet et le public visé, prouve que Salvadori est un véritable auteur.
Pierre Salvadori est l’un de nos réalisateurs les plus singuliers, souvent sous-estimé parce que son goût pour une forme de comédie française « populaire », animée par des acteurs « grand public », le prive largement de l’auréole auteuriste si importante en France. Et, il faut aussi l’admettre, la plupart de ses films sont un mélange déconcertant de scènes inspirées, d’idées profondément originales, souvent anticonformistes, et de maladresses presque gênantes. Ce qui est à nouveau le cas avec son La Petite Bande, comédie à destination d’un plus jeune public, qui reprend d’ailleurs, sans doute maladroitement, le titre d’un mauvais film de Michel Deville, datant de 1983 : on est dans un pur « Salvadori-movie », qui confirme par l’absurde qu’on a bien affaire à un véritable auteur, n’en déplaise à ceux qui condamnent systématiquement la comédie française, et ne manifestent que peu d’intérêt envers les films « pour enfants ».
Dans un village de l’intérieur de la Corse où la population dépend pour son travail d’une seule usine, qui est également polluante et destructrice pour l’environnement et la santé de tous, quatre pré-adolescents décident de mettre feu à la fameuse usine… ce qui va les amener à entrer dans un cycle infernal de délinquance croissante, avec les problèmes matériels et moraux qui accompagnent le basculement de « gens ordinaires » dans la criminalité. On voit bien avec un tel sujet, et malgré le choix systématique du burlesque pour que la Petite Bande reste le plus possible dans le registre comique, que la ligne est facile à franchise qui ferait du film un drame social, voire une parfaite tragédie. Et que la manière dont Salvadori va jongler avec plus ou moins d’aisance et de succès entre les genres s’avère ce qui passionne le plus dans le film.
Porté par une bande annonce forcément mensongère qui fait de Aimé, pièce rapportée tardive à l’action, le centre du récit, alors qu’il ne sera « que » celui par lequel le chaos s’intensifie, comme une sorte d’âme noire paradoxale du groupe, la Petite Bande n’hésite pas à jouer dans la cour de la plus grande ambigüité, ce qui en fait, et ce n’est pas anodin, une sorte de anti-Stranger Things : parfaits fruits d’une société oppressive et hypocrite, souffrant de violences domestiques, de familles désunies, voire d’une accumulation de frustrations et de penchants inavouables, les « héros » du film sont tout sauf des héros, justement. Ils auront chacun à leur tour des comportements non seulement répréhensibles, mais franchement abjects. Si aucun adulte dans le film ne mérite franchement d’être sauvé, les enfants que nous montre Salvadori en sont leurs dignes rejetons : point d’innocence ici, mais avant tout des calculs et des manipulations pour arriver à des fins personnelles souvent inavouables !
Et il y a cette toute dernière partie, d’une violence morale impressionnante, dont on ne sait si elle reflète une sorte d’idéologie écolo-radicale chez Salvadori (« Mort aux patrons pollueurs » !), ou si elle traduit un pessimisme encore plus franc quant à la capacité humaine à l’altruisme, voire à la simple générosité vis-à-vis de l’autre. Finalement, on se dit qu’il n’y a jamais eu à l’écran de véritable « bande », mais une association de courte durée entre des individus dont le comportement « humain » s’avère bien pire que celui des animaux dont ils ont emprunté l’image pour leurs – très beaux – masques.
Eric Debarnot