Frédéric Bihel adapte le roman fantastique d’Anne-Laure Bondoux. Le scénario est complexe et mélancolique, et sa résolution déroutante.
Dans ce monde en perdition, il sera beaucoup question d’ombres, des ombres fugitives et éprises de liberté, des ombres douteuses, des ombres de la guerre, mais aussi d’amour, d’amours promises, d’amours déçues, d’amours improbables et du passage des générations.
Bo, un forgeron massif et ténébreux, aime Anna, une jeune fille solaire et blessée. Ils fuyaient la ville et la guerre, quand, au milieu de la steppe, elle accouche de Tsell. La petite famille est sauvée par une étrange fratrie de lutins vivant sous terre. Anna a perdu ses mains, Bo va lui forger des prothèses. Ils reprendront la route, s’installeront dans un village côtier et Tsell, à son tour, partira, à la recherche de son identité, esquissant un nouveau cycle.
La narration n’est pas linéaire et les ellipses nombreuses. L’histoire est mystérieuse et les personnages, bien qu’attachants, semblent gagné par une contagieuse tristesse. À l’image d’un René Barjavel ou d’un Ismaël Kadaré, Anne-Laure Bondoux flirte avec le fantastique, voire avec le conte philosophique. Déroutant les esprits trop cartésiens, elle pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.
Que nous dit-elle ? Que la guerre est mauvaise, que l’amour est fragile et que la nature est belle et, semble-t-il, bonne. Difficile de ne pas la suivre… Recommande-t-elle des sacrifices ou, à l’inverse, les dénonce-t-elle quand son héros affirme : « Tu crois qu’il faut toujours perdre une part de soi pour que la vie continue ? » La formule est ambiguë et la réponse est laissée à la libre interprétation du lecteur.
Le dessin de Frédéric Bihel est plus convaincant. Il s’attarde dans la visite du « bas », le charmant monde sous-terrain des bienveillants lutins. Son trait est doux, classique et très fin. Souvent, ses personnages sont seulement croqués à la plume. Plus travaillés, ces paysages sont particulièrement réussis, tout particulièrement dans des atmosphères nocturnes.
Ses héroïnes aux yeux clairs et ses lutins aux visage émaciés ne vous abandonneront pas de sitôt. Attention, car vous voilà, à votre tour, enchantés…
Stéphane de Boysson