En voulant mettre trop de choses dans le remake sous forme sérielle de son propre film, Irma Vep, et en évitant trop longtemps de toucher aux sujets qui lui sont les plus personnels, Assayas nous déçoit. Reste une Alicia Vikander lumineuse qui peut justifier qu’on aime cette mini-série bancale.
Olivier Assayas adore Les Vampires, le célèbre « feuilleton » de Louis Feuillade (en fait une série d’une dizaine de moyens-métrages sortis dans les salles, la télévision n’existant évidemment pas en 1915). Mais Olivier Assayas a surtout une passion pour Irma Vep, le personnage féminin central de la série, première surperhéroïne sexy – et malfaisante – vêtue d’une combinaison moulante de soie noire, qui ne cachait pas grand-chose de ses charmes. Ou peut-être encore plus de Musidora, son extraordinaire interprète, femme libre très en avance sur son temps, que l’on peut aisément considérer aujourd’hui comme une pionnière de la défense de l’égalité des sexes. La preuve, c’est qu’Assayas a déjà utilisé l’œuvre de Feuillade comme sujet de l’un de ses films, en 1996, déjà intitulé Irma Vep : il y reprenait grosso modo le principe établi par Truffaut avec sa Nuit Américaine, celui de montrer un tournage comme un lieu d’intrigues amoureuses ou professionnelles, dont les péripéties n’ont rien à envier à celles du scénario du film… Et il réalisait surtout une déclaration d’amour à sa muse de l’époque, la sublime Maggie Cheung, en la faisant courir la nuit sur les toits de Paris…
Plus de 25 ans après, bien des choses ont changé : d’abord, Maggie et Olivier sont séparés, et cette blessure visiblement toujours douloureuse semble être au cœur du désir de refaire Irma Vep, même si ce thème reste quasiment dissimulé jusqu’aux derniers épisodes où il est plus franchement assumé. Les séries ont remplacé dans le cœur du grand public les films de cinéma, donc le format d’Irma Vep est devenu sériel, ce qui, finalement, correspond beaucoup mieux à l’hommage à Feuillade et Musidora qu’Assayas avait clairement en tête. Mais surtout, et cela va nourrir une grande partie d’Irma Vep – la première, pas la meilleure d’ailleurs – le cinéma US de superhéros a fait quasiment disparaître le cinéma d’auteur : pour interpréter Irma Vep, Assayas a l’idée brillante – sans doute la meilleure de toutes – d’aller chercher Alicia Vikander, actrice suédoise révélée au grand public par ses rôles dans des blockbusters hollywoodiens (en particulier Tomb Raider !). Qui mieux qu’elle pouvait illustrer cette tension de plus en plus forte entre l’amour pour le « vrai » cinéma, celui des grands auteurs d’autrefois en particulier, et la tentation du succès populaire et de l’argent « facile » offerts par le cinéma commercial pour adolescents ?
Mais ce que nous découvrons ici (ou redécouvrons, plutôt) c’est le charisme et la sensibilité d’une jeune actrice rayonnante, exprimant ses doutes quant à elle-même (ses choix professionnels, mais également ses penchants sexuels puisqu’elle est très amoureuse de son ancienne assistante, qui l’a quittée depuis et la torture…) avec une justesse, mais également une énergie formidablement touchante. Quand elle se meut de manière féline dans le costume d’Irma Vep, quand elle réussit à passer à travers les murs – dans une figuration formidable du concept de la fusion de l’acteur et de son personnage – au cours du septième épisode, le meilleur, quand elle danse comme Musidora (Vikander a été elle-même danseuse), elle crève littéralement l’écran, et justifie pleinement le visionnage complet de la mini-série.
Pour le reste, nous serons beaucoup plus circonspects. Assayas a des intuitions formelles brillantes : en mélangeant des extraits des films de Feuillade avec leur recréation moderne, plan par plan, en insérant avec les acteurs de la série des chapitres du journal de Musidora, en se risquant, avec succès d’ailleurs, à chanter la gloire d’un cinéma expérimental (Kenneth Anger) comme issue possible pour un cinéma d’auteur désormais sans budget, Assayas intrigue et passionne. A l’inverse, tout le versant burlesque d’Irma Vep, confié en grande partie au casting français (Lacoste, Macaigne, Greggory, Girardot, tous visiblement mal à l’aise et bien en-dessous de leur talent habituel) est une véritable catastrophe : jamais drôles, manquant cruellement de dynamisme et même d’idées, les tentatives comiques d’Assayas s’avèrent plus déprimantes qu’autre chose. Il n’y a guère que la réjouissante flamboyance d’un Lars Eidinger déchaîné qui suscite quelques sourires ça et là, et on aurait aimé le voir plus.
Quant à la peinture du monde finalement assez peu sympathique du cinéma, elle ne surprend jamais, et frise même souvent le cliché : les caprices des stars, les jalousies entre les seconds rôles, les problèmes techniques et les angoisses des producteurs, il n’y a rien que nous n’ayons déjà vu, et souvent en mieux, ailleurs… Il faut attendre le dernier épisode, qui laisse quand même tomber ses personnages et ses intrigues avec une désinvolture frustrante, pour que Macaigne, enfin crédible, énonce quelques principes esthétiques et éthiques touchants sur le 7è Art. Il est alors bien trop tard pour nous emporter dans ce monde qu’Assayas a échoué à rendre vraiment vivant.
Sans doute trop complexe, trop ambitieux, évitant trop longtemps les sujets vraiment importants qui tenaient à cœur de son auteur, Irma Vep est une belle promesse non tenue.
Eric Debarnot