Gros évènement au cœur d’un été parisien traditionnellement calme, le passage à Paris des formidables Japonais krautrock de Minami Deutsch. Conclusion : « le Rock est tout sauf mort ». Et « Vive le Japon ! »
Si les mois d’été parisiens sont surtout synonymes de disette – ou de repos bien mérité – pour les fans de musique live, les artistes étant pour la plupart occupés à écumer les festivals en province ou les stations balnéaires, il arrive heureusement que de divines surprises nous soient réservées… Comme par exemple l’annonce d’un concert – un vrai, pas un set réduit à la portion congrue d’une heure – des Japonais krautrock de Minami Deutsch, de passage au Supersonic, une salle qu’on aime décidément de plus en plus. Le résultat : une queue conséquente pour entrer et une salle bondée et enthousiaste que la climatisation n’arrivera pas à rafraîchir.
20h40 : un seul groupe en première partie, donc, pour laisser du temps à Minami Deutsch, le duo d’Evreux qui a choisi le nom évocateur, mais surprenant de le goût acide des conservateurs, ou plus simplement L/G/A/D/C. Bandcamp les présente comme « pratiquant une synth pop intemporelle infusée d’influences cold et post-punk », mais on préférera nettement la définition d’un ami qui les adore : « du Suicide sous tranxène » ! Yann s’occupe des machines, et en particulier de synthés vintage au son délicieux, Fred (Frédérique…), elle, chante – plutôt dans le registre spoken word, disons – en frappant de temps en temps une cymbale et en jouant sur quelques morceaux de la basse. On remarque aussi sur la scène une valise qui porte un pochoir JC Bourret, et une petite boîte métallique dans laquelle Fred range soigneusement son unique médiator vert qu’elle utilise sur sa basse. Au départ, on n’est pas forcément enthousiasmé, tant la musique est lente, lancinante, et déploie peu d’efforts de séduction : le refus de l’intensité est un choix courageux, mais qui n’attire pas forcément le public. Pourtant, au fil des morceaux, certains très courts, quelque chose s’installe, et on rentre progressivement dans la musique, jusqu’à y prendre de plus en plus de plaisir. Nous avons -nous, vieux rockers -, tendance à préférer les titres où Fred joue, très bien d’ailleurs, de la basse, et également ceux aux textes en français (des phrases comme : « Petite ordure, je vais te mener la vie dure et tu regretteras de t’être moqué de moi », ça vous pose une chanson, non ?). On notera un titre qui nous est présenté comme une reprise de Chokebore, mais surtout un dernier morceau, Anthropocene, qui bénéficie de vocaux chantés un peu plus lyriques, et qui autorise enfin un peu d’émotion. En tous cas, une belle expérience sur 40 minutes qui passent comme un rêve froid : à suivre…
21h55 : On attendait Minami Deutsch en format trio, c’est un quatuor qui entre en scène, avec un second guitariste qui va évidemment gonfler le son. Avec un look – cheveux très longs, pieds nus sur scène – qui évoque les amis de Kikagaku Moyo -, les nouveaux princes du krautrock jouent dans une obscurité totale, qui va évidemment nous priver de photos décentes : on a quand même droit à des projections colorées et abstraites sur un écran situé à droite, obstruant totalement la grande vitrine à droite de la scène, et à quelques effets psychédéliques rétros sur une minuscule télévision très années 70. Pas grand-chose à voir, donc, tout l’intérêt réside clairement dans la musique du groupe : et pour ça, aucune plainte à formuler, aucune déception pendant les 1h25 de concert…
Minami Deutsch embrasse en fait différents genres, plus variés qu’on l’imaginerait à priori du fait de l’étiquette kraut collée au groupe (précisons que 南ドイツ, prononcez Minami Doitsu, signifie « Allemagne du Sud ») : il parcourt un spectre allant du psychédélisme embrasé au krautrock tendance motorik, en passant par des moments jazzy, voire occasionnellement prog rock. C’est évidemment la section rythmique – spectaculaire – qui accroche de prime abord, puisque c’est à elle qu’on demande de créer cet effet d’envoutement sans lequel la musique ne fonctionnerait pas. Mais ce sont ensuite les deux guitares qui sont chargées de créer les passages paroxystiques, qui seront finalement assez nombreux, moments de jouissance sonique que le public attend avec impatience. On notera aussi la belle voix claire, presque féminine de Kyotaro Miula sur les quelques passages chantés. Le tout est servi par un son parfait, ce qui vaut la peine d’être noté car on entend souvent des critiques quant à la qualité du son au Supersonic.
Entamé par l’un des morceaux les plus emblématiques du groupe, Futsu Ni Ikirenai, datant de ses débuts, le concert nous offrira donc maintes occasions de partir en transe, voire même en délire, grâce à d’irrésistibles montées en intensité : sur scène, et c’est logique, le groupe abandonne son côté le plus planant, le plus ambient, pour privilégier les rythmiques répétitives. On pointera l’efficacité psychédélique du single extrait du nouvel album, Grumpy Joa, et surtout la frénésie implacable de I’ve Seen a U.F.O., sans doute le sommet de la soirée. On termine, heureux, sur Tunnel, sorte d’orgie speedée quasi « metal », décharge de plaisir en 5 minutes furieuses.
Après ça, il ne nous reste qu’une seule chose à dire : que ceux qui bougonnent à longueur de journée sur « la mort du Rock » et pleurnichent que « c’est plus comme avant » sortent un peu en concert !
Ah, et puis aussi : « Vive le rock japonais ! ».
Texte : Eric Debarnot
Photos : Christophe Cario et Eric Debarnot