Dans son nouveau roman, Pierre Sérisier tricote une intrigue machiavélique pour raconter comment deux riches familles normandes étroitement liées par des unions matrimoniales et financières vont basculer dans le drame.
Après avoir lu seulement quelques dizaines de pages de ce long roman, j’ai pensé très vite aux sagas familiales écrites par les grands auteurs du XIX° et du début du XX° siècles. Evidemment l’écriture de ce roman n’a rien avoir avec celle des textes classiques, elle est beaucoup plus contemporaine, vive, alerte, percutante, enrichie de nombreux mots issus du jargon professionnel ou d’expressions fleurissant surtout dans les cités populaires actuelles. L’auteur possède un réel talent pour créer des images expressives en ayant recours à des figures de style, oxymores, zeugmas, métaphores… ou en inventant des formules percutantes et en suggérant des comparaisons audacieuses.
Sous la forme d’une chronique très précisément minutée, ce texte décrit avec minutie la machinerie diabolique qui détruit en une seule journée deux riches familles normandes étroitement liées par des unions matrimoniales ou adultérines, mais surtout financières et patrimoniales. La famille Saint Soens, très grosse fortune rouennaise, a confié la gestion des son patrimoine et de ses intérêts à l’Office Notarial Lambert. Le notaire propriétaire de cet office décède accidentellement quelques jours avant que le mari déshérité par contrat de mariage de l’héritière de la fortune saint Soens et son fils décident de balancer leur épouse et mère par-dessus la rambarde de la mezzanine. La pauvre ne survit pas à cette agression (vengeance, appât de l’héritage ?)… Les assassins, grâce à leur fortune, étouffent tous les soupçons que pourraient formuler la police, la justice, la médecine légale et tous les curieux intrigués par cet accident arrivant à point nommé.
La bataille pour l’héritage commence, le notaire a trois héritiers : un notaire ivrogne et drogué mis sur la touche par son père, une fille brillante mais peu motivée par le notariat, et un second fils généalogiste qui, par profession, et peut-être plus par vice, aime à fouiner dans la vie des gens. Ce dernier a découvert depuis un certain déjà temps que le notaire a aussi une fille adultérine dont la mère est l’héritière assassinée. C’est alors une intrigue digne du roman le plus noir qui se dessine, des clans se forment et se déforment, des alliances se nouent et se dénouent. Chaque parti initie les coups le plus tordus, les plus vicieux, pour faire trébucher ses adversaires et récupérer l’énorme héritage. Pierre Sérisier a tricoté une intrigue machiavélique, à plusieurs entrées, une pour chaque intriguant, qui ne manquera de surprendre les lecteurs les plus rompus à la lecture des polars, romans noirs ou thrillers.
Ce roman n’est pas qu’une intrigue savamment tricotée, c’est aussi un tableau bien sombre, même si l’ironie est souvent le moteur des descriptions de la société actuelle et surtout des grandes familles plus ou moins dégénérées qui possèdent d’immenses fortunes. C’est une démonstration de la déliquescence sociale affligeant le monde actuel, c’est une véritable condamnation de la société merchandisée où tout se vend et s’achète, « même les bonnes consciences », c’est une inquiétude prégnante devant la virtualisation de la société et de ce fait de sa déshumanisation.
Et il y aussi dans ce texte une véritable ode à la musique, toutes les formes de musique que l’auteur apprécie particulièrement, même s’il déplore que désormais la musique ne soit plus qu’un produit de consommation qu’il faut vendre le plus possible, et non plus un art, une inspiration, un souffle, un élan, une joie, un bonheur,… La musique qui a perdu toute la créativité qu’elle avait à la fin des sixties et au début des seventies, la musique qui accompagne la déliquescence sociale, la déshumanisation de la société et l’enrichissement de ceux qui sont déjà trop riches.
Moralité : l’argent ne fait pas le bonheur, c’est bien connu, mais il attire toujours autant les envieux. L’auteur a su le démonter autrement et laisser une petite lucarne entrouverte sur un monde… peut-être moins corrompu ?
Denis Billamboz