Nous étions venus voir les tout jeunes gens de Tigers & Flies, dont on commence à parler, mais nous sommes tombés sous le charme des Néerlandais de Global Charming qui nous ont gratifiés de l’un des meilleurs concerts de ces dernières semaines. Magie du Rock qui se renouvelle constamment… Une histoire (heureuse) sans fin.
Quand on a déjà écouté beaucoup trop de musique et vu encore plus de concerts dans sa vie, on a souvent du mal à s’enthousiasmer pour les artistes ou les groupes mainstream qui déclenchent, souvent à juste titre, la passion des gens plus jeunes. Et on se rend compte que le plus excitant, c’est de ressentir de manière viscérale, impromptue, le plaisir de la découverte : celui d’être scotché par la musique de gens dont on n’avait jamais entendu parler, et dont on n’attendait rien. Démonstration ce vendredi 5 août avec les Hollandais de Global Charming au Supersonic, qui a réouvert après ses travaux pour améliorer le son dans la salle .
Nous étions venus ce soir pour découvrir en live les jeunes Mancuniens qui commencent à faire le buzz, Tigers & Flies, et une écoute rapide de leurs chansons nous avait fourni notre lot de références : ce n’est pas à nous qu’on allait la faire, nous qui étions là quand Orange Juice ou les Pale Fountains, puis Shack avaient injecté de la soul et du jazz dans la New Wave. Mais nous avions tout faux, ce qui est une excellente nouvelle…
21h30 : … Car Tiger & Flies, sur scène, tous cuivres en avant – trompette et trombone – c’est surtout un joyeux b… chaos, et ça rejoint plutôt en cela la dernière vague anglaise, de Black Country, New Road à Black Midi. Mais en plus timide, plus instable, immature et donc charmant. Les musiciens paraissent en effet très jeunes, et très heureux d’être là – en dépit du coût du voyage (saloperie de Brexit ! la peste soit du prix de l’essence !) mais aussi de la logistique avec les vêtements qu’il faut laver ou changer : comme ils ont choisi un look uniforme, pantalon blanc et chemisette rouge, on comprend que ça ne soit pas simple. On remarquera que Risha, la petite tromboniste, porte en fait sa chemise (de travail ?) du McDo. Et c’est ce genre de chose, leurs sourires, leur plaisir à jouer qui va nous conquérir en deux temps trois mouvements…
Ce n’est pas une bonne raison, pensez-vous ? Oh, mais que si ! Le Rock, c’est exactement ça, cinq presque encore ados qui se lancent et affrontent le monde avec une musique fraîche, joyeuse, et avec même quelques chansons accrocheuses, comme Ben, leur petit tube. Et puis qui, sur scène, ne craignent pas de s’amuser avant tout, en particulier en plaçant les cuivres au premier rang de la musique pour créer une ambiance festive (tiens, on pourrait aussi leur demander s’ils ont un jour écouté les Boo Radleys ?). Quant à demain ? On ne sait pas, on verra bien…
Cette belle affaire dure 35 minutes, avec un dernier titre rajouté in extremis, quand ils ont réalisé qu’il leur restait du temps pour jouer, encore. On n’a sans doute pas vu le « futur du Rock’n’Roll », ce soir au Supersonic, mais on a passé un beau moment d’innocence, d’énergie et d’espoir.
22h30 : Du coup, la froideur et le sérieux du quatuor d’Amsterdam, Global Charming (nom malin, mais qui ne leur va pas trop au premier abord), ne nous plaît pas trop. On a envie de faire de la résistance, tiens, devant ces musiciens qui ne sourient pas, qui ne nous disent pas un mot. Et qui débutent un set froid, mécanique, virtuose techniquement dans la construction de rythmes bancals et de sonorités dissonantes, mais un poil scolaire, forcé. Allez, on y va, on brandit nos références de toujours, Wire, le XTC des premiers albums, et on est prêt à clore le sujet et à passer à autre chose.
Sauf que, On Line Store, la 4ème chanson, nous stupéfait : il y a quelque chose d’étonnant qui se met en place, il y a de l’inspiration, du souffle,… de la magie ! Et le set monte peu à peu en puissance, et voilà le public du Supersonic qui chavire : la basse est extraordinaire, les deux guitares tricotent en chœur des constructions épileptiques (euh, ça peut être épileptique, une construction ?), les vocaux impérieux et froids déversent dans notre sang un poison excitant. Une demi-heure a passé, et tout le monde saute en l’air, se trémousse mécaniquement et frénétiquement, et vibre sur cette musique de plus en plus jouissive. Une accélération punk et c’est la folie dans la salle : il n’y en aura pas de deuxième, mais le basculement vers l’hystérie a bel et bien eu lieu. On reconnaît une congruence de Global Charming avec la meilleure scène de Brooklyn (Bodega, The Wants). Le coup de grâce sera asséné avec le dernier titre, Celebration, une bombe de plaisir qui peut évoquer, en moins joueur, les B52’s des débuts. C’est tout simplement énorme.
On sort de là avec l’enthousiasme des premiers jours, des premières fois. Et ne serait-ce que pour ça, on remerciera une fois encore les gens formidables du Supersonic, son amélioré ou pas (… et les lumières, alors ?), qui nous offrent ce genre de sensations.
Texte et photos : Eric Debarnot