Film typique du wokisme de notre époque pour les uns, hommage féministe à la culture indigène pour les autres, Prey est peut-être simplement le meilleur Predator depuis l’original.
Quand on parle aujourd’hui de Predator, on a quasiment oublié l’excellent film original de John McTiernan avec Schwarzie, et on pense plutôt à l’interminable suite de navets ringards qui ont suivi. Prey, relecture du « mythe » dans une sorte de « origin movie », puisque situé il y a 300 ans, est sans doute le meilleur film de la « franchise » – qui n’en est pas vraiment une – depuis le premier. Il montre surtout que l’on peut faire à nouveau du cinéma intéressant en recentrant le scénario sur le thème original : la lutte inégale entre un chasseur sur-équipé, et sa victime, qui ne peut compter que sur ses propres capacités physiques et intellectuelles.
Face au chasseur extra-terrestre, qui n’a pas changé de look – et c’est tant mieux – ni de but dans la vie – tuer les proies les plus dangereuses possible comme une sorte de sport ultime -, on a cette fois une tribu comanche, et plus particulièrement une jeune femme qui tente de s’affranchir de la domination traditionnelle des guerriers mâles. A la simple lecture du synopsis, on réalise qu’il y a là 3 concepts-clé, que le film va en effet décliner sans grande surprise (et c’est là sa principale limite, d’ailleurs). D’abord, on est très proche d’un pur remake du film de McTiernan dans le déroulement de l’affrontement, avec une seule différence notable : présumant que les spectateurs sont déjà parfaitement au courant de ce qu’est le Predator, on l’introduit rapidement… Aucun mystère, juste des affrontements, de plus en plus serrés entre les adversaires.
Ensuite, et c’est LA grande idée de Dan Trachtenberg (oui, le boy genius qui avait réussi le hold-up de la banque avec son premier film, 10, Cloverfield Lane), co-scénariste et réalisateur du film, il s’agit de montrer avec respect et fidélité la culture indigène : soit une tentative honorable de rétablir à l’écran une certaine vérité, allant à contre-courant de décennies de mensonges hollywoodiens sur les « Peaux-Rouges ». Le problème est que, au-delà de la splendeur des paysages qui évoquent un continent encore à peu près préservé des exactions des colons blancs, et le soin apporté à la description patiente des rituels et modes de pensée comanche, Trachtenberg ne tient pas le défi de la langue, et fait rapidement parler couramment ses personnages en anglais : un renoncement à la crédibilité de son film pour éviter que les spectateurs US ne lisent des sous-titres, c’est pour le moins décevant. On remarquera d’ailleurs que, comme dans bien des films US, les trappeurs primitifs et bestiaux parlent eux en français – non sous-titré -, et d’ailleurs artificiellement noyé dans le fond sonore du film : comme quoi, l’honnêteté historique ne va pas jusqu’à admettre que l’on parlait largement français sur le continent nord-américain à cette époque !
Enfin, et pour accentuer encore la haine de tous ceux qui conspuent le « wokisme » croissant dans la société US, Prey développe un discours féministe fort – porté par la belle interprétation d’Amber Midthunder qui a dans sa famille des racines indiennes -, mais sans doute un tantinet idéaliste par rapport à la réalité de la culture comanche.
Destiné par son auteur à une diffusion sur grand écran – et tant l’image magnifique que l’ampleur de la mise en scène en témoignent – le projet Prey est malheureusement tombé au milieu des jeux de pouvoir auxquels se sont livrés les studios, a été racheté par la maison Disney et a vu donc sa diffusion ramenée au petit écran, au grand dam de Trachtenberg, qui a toutefois tenté de préserver autant que possible sa vision dans des circonstances adverses, et qui a tenu bon avec un casting et une BO largement « native american », et même un projet annexe d’éducation de jeunes issus des tribus aux techniques du cinéma.
Tout cela pour dire que, si Prey n’est pas un chef d’œuvre, s’il manque paradoxalement d’originalité en respectant jusqu’à la fin son programme initial, il reste un film honorable, singulier même, qu’il serait dommage d’ignorer.
Eric Debarnot