Certes, ce n’est pas forcément la lecture idéale pour l’été, mais la guerre en Ukraine, elle, n’a pas pris de vacances. A ce titre, cette biographie fluide et instructive nous rappelle que l’homme à la tête de l’ex-grande puissance soviétique est loin d’avoir lâché l’affaire…
L’évolution de l’humanité peut-elle s’accommoder de dictateurs ? Que retiendra l’Histoire du monde d’un tyran qui ne tient que grâce à ses mensonges et à des fonctionnaires choisis pour leur docilité ? Si cette biographie édifiante ne répond pas à la question, elle nous aide à comprendre comment le « nouveau tsar » a construit son emprise sur cette puissance héritée de l’ère soviétique qu’est la Russie.
Si la guerre en Ukraine a assurément réactivé l’intérêt pour Vladimir Poutine, il faut souligner le fait que Poutine, l’ascension d’un dictateur a été publié dans les pays anglo-saxons quelques mois avant le début du conflit. Pour sa sortie chez Delcourt, l’auteur y a ajouté une préface plus récente, histoire peut-être de signifier au lecteur que l’ouvrage n’a pas été produit juste à cause du contexte actuel.
Visiblement, Darryl Cunnigham s’est beaucoup documenté, à en juger par le nombre de publications et d’articles cités en fin de volume. L’auteur a réussi à synthétiser le tout de manière fluide, nous rappelant de manière détaillé le parcours du dictateur, de ses débuts au KGB jusqu’au sommet du pouvoir russe. Le gamin teigneux et bagarreur, « petit voyou des rues peu instruit », n’a jamais été un enfant de chœur. Déjà, lorsqu’il travaillait pour la Stasi, il fut impliqué dans des accords d’exportations à la légalité douteuse, sans être inquiété. Lorsqu’il succéda à Boris Elstine dans les années 90, Poutine a rapidement montré son visage sanguinaire et belliqueux, par des méthodes mafieuses dont le KGB était coutumier (avec plusieurs assassinats de journalistes ou de personnalités gênantes, y compris sur un sol étranger). Bien sûr, son nom n’était jamais cité lors de ces mauvais coups, mais il paraissait évident qu’il était celui qui tirait les ficelles.
L’invasion récente de l’Ukraine ne sera pas une surprise, mais pas seulement parce que le bras de fer dure depuis 2014 : Cunningham nous rappelle que l’homme fort de la Russie avait inauguré son premier mandat « en fanfare » en intervenant en Tchétchénie, décrite à l’époque comme une simple « opération antiterroriste ». Depuis, il y a eu d’autres « opérations spéciales » : en Georgie et en Syrie (où Poutine a soutenu vigoureusement Bachar El-Assad).
Pour ce mégalomane né, la guerre, pardon, les « opérations spéciales », ne sont qu’un jeu de société, peu importe leurs conséquences désastreuses sur la vie des gens, peu importe la terreur et les traumatismes qu’elles engendrent dans le psychisme collectif, sans parler de la haine et de la rancœur. Mais Poutine sait également recourir aux technologies modernes, et l’auteur explique comment le tyran a manipulé l’information à travers les médias de son propre pays, mais également à l’international en utilisant les réseaux sociaux à l’aide de hackers ou de trolls, en y répandant des fake news, qui accessoirement auront largement facilité l’élection en 2016 d’un autre sinistre personnage, un certain Donald Trump. Et il se pourrait bien que la recette ait fonctionné également pour l’Europe, notamment outre-Manche où l’argent russe coule à flot… Boris Johnson et son parti conservateur ont sûrement un avis, même s’ils le gardent secret jusqu’à présent…
On ne s’étendra pas sur le dessin minimaliste, qui, bien que tout à fait adapté à une narration documentaire, reste très ordinaire. Cunnigham alterne entre portraits « réalistes » de figures célèbres inspirés de clichés photographiques et illustrations simplistes ou symboliques, souvent épurées à l’extrême, parfois un rien répétitives. Le tout est plus démonstratif qu’esthétique, ce qui incitera le lecteur à se concentrer davantage sur le fond que sur la forme.
En résumé, le livre nous fait bien comprendre que les initiatives du dictateur sont davantage motivées par l’amour du pouvoir et de l’argent que par le bien-être de son peuple. Et l’argent, on apprendra qu’il en connaît parfaitement la couleur, et serait même à la tête de la plus grosse fortune mondiale…
Laurent Proudhon