The Other Side of Make-Believe, le nouvel album d’Interpol, après quatre ans de silence mais accompagné d’un retour triomphal sur scène, pourrait bien marquer notre réconciliation avec le groupe…
Marauder, le dernier album d’Interpol, paru en 2018, avait été une vraie déception, entre titres peu convaincants et production sans finesse, et même les fans avaient eu du mal à y retrouver ce qu’ils aimaient dans le groupe. Le récent passage de Paul Banks et ses acolytes en concert à Paris avait heureusement prouvé qu’Interpol n’avait pas perdu leur vieille magie, même si, évidemment, le temps de l’émerveillement devant les premiers albums remonte à trop loin pour qu’on retrouve les mêmes sentiments.
La bonne nouvelle pour tous, fans ou moins fans du groupe, c’est que The Other Side of Make-Believe voit les défauts de son prédécesseur corrigés : en acceptant que l’Interpol en 2022 n’est plus l’Interpol de 2002, Banks et consorts ont pris note qu’une certaine maturité serait une piste intéressante à creuser. D’où un album moins agressif, plus émotionnel, plus sophistiqué aussi, qui va bien avec l’âge du groupe (et de ses fans…) : Toni est une introduction impeccable, avec un piano très présent, et même un refrain qui peut être lu comme aspirationnel : « It’s my kind of aspiration like it’s going in the right direction / That’s to me, to me, to me, to be » (C’est mon genre d’aspiration, celle qui va dans la bonne direction / C’est-à-dire vers moi, pour moi, pour « être »). Mais cette ouverture en demi-teinte indique aussi que le temps des « hymnes » accrocheuses est révolu, même si cela en décevra sans doute certains qui s’accrochent à un passé glorieux…
En appelant Flood à la rescousse pour une production plus luxueuse, Interpol courrait évidemment le risque de se « U2-iser », et certains moments de The Other Side of Make-Believe flirtent en effet avec un nouveau classic rock un peu trop consensuel. Mais la grande classe du groupe, c’est d’avoir toujours su éviter l’emphase, de ne pas devenir un Coldplay du post-punk, et de rester finalement mesuré dans ses ambitions : si Banks n’a jamais été aussi aventureux que ses ex-concurrents de Editors, qui sont eux allés prendre des risques sur des territoires électroniques ou prog-rock, il a mieux su que Tom Smith gérer l’emphase caractéristique de la cold wave école Joy Division.
Les arrangements sophistiqués de Mr. Credit, le swing élégant de Something Changed, l’intensité émotionnelle de Passenger (« I need something to hold, someone to grasp at / When I fall into a hole with a mountain on my back / … / Save me, I’m in my head » – J’ai besoin de quelque chose à quoi me raccrocher, quelqu’un à tenir / Quand je tombe dans un trou avec une montagne sur mon dos / … / Sauve-moi, je suis dans ma tête), le lyrisme spectaculaire de Gran Hotel caractérisent un Interpol pas complètement différent, mais prenant un virage musical inévitablement excitant.
Dans certains cas, sur Greenwich ou sur Something Changed par exemple, et c’est un vrai compliment qu’on lui fait, la voix de Paul Banks évoque plus celle d’un Bowie dernière période que d’un éternel émule de Ian Curtis (même s’il faut admettre qu’un titre comme Renegade Hearts reste chargé de ce pathos froissé et cette tristesse accablée que Joy Division symbolisera toujours). Mais ce qui subsiste, et c’est heureux, de l’ADN du groupe, ce sont les guitares bruyantes, qui équilibrent les tendances à l’adoucissement de la musique du groupe (Fables).
Mais peut-être que ce que l’on doit retenir de cet album, c’est la bienveillance – une marque de l’âge ? du temps qui passe ? – qui finit par s’en dégager : « Come on, go easy / Doesn’t matter what you bring » (Viens, ne t’en fais pas / Peu importe ce que tu apportes…) sont les derniers mots de Go Easy (Parlermo), la conclusion de l’album.
Et si nous retombions amoureux d’Interpol, vingt ans après ?
Eric Debarnot