Premier roman graphique de Maia Kobabe, Genre queer est une histoire pleine de douceur et de bienveillance qui, sans généraliser, participe à une meilleure compréhension de la non-binarité. Une jolie réussite.
Sans que cela soit réellement surprenant (toute action entraînant une réaction, comme les physiciens le savent), nous vivons une époque frustrante, où tous les progrès enregistrés en faveur des femmes, des minorités, de tous ceux en fait qui ont souffert pendant des siècles, et souffrent encore, des schémas de suprématie masculine, en particulier occidentale et blanche, sont accueillis par une violence croissante de la part du « camp adverse », qui lutte contre tout changement qui mette en danger cette suprématie. Pour résister à cette décharge constante de haine, qui règne en particulier sur les réseaux sociaux, tous les arts ont un rôle-clé à jouer : transmettre, encore et toujours, la parole des victimes, le récit de ceux dont la voix a été étouffée depuis… toujours.
La publication chez Casterman de Genre queer, sous-titrée « une autobiographie non binaire », le roman graphique de Maia Kobabe, première œuvre de cet artiste californien-ne ayant déjà reçu plusieurs prix depuis sa première édition en 2020, est une pierre de plus apportée à l’édifice d’une reconnaissance d’autres représentations possibles de l’identité que celle, traditionnelle, des genres masculin et féminin.
Maia nous raconte sa propre histoire, dans un récit d’une grande clarté, mais surtout d’une très belle douceur, s’appuyant sur un texte simple et fort et des images simples, efficaces. Découvrant avec l’arrivée de son adolescence son inconfort par rapport à la féminité naissante de son corps, son désir d’organes sexuels masculins, puis développant une relation difficile avec le concept de sexualité – même la masturbation est un problème, au-delà de sa confusion quant à qui peut être un objet de désir – Maia s’enfonce dans un mal-être identitaire profond, et parfois violent. Son livre, en dissociant de manière fine la question de la sexualité de celle de l’identité, permet de sortir des images caricaturales sur l’homosexualité, la bisexualité, etc. qui font automatiquement remonter chez les intégristes de tout poil des haines et des peurs ataviques : Genre Queer, succession tranquille, patiemment construite de petites histoires, de petits drames comme de petites victoires, est un livre agréablement bienveillant sur un sujet qui est devenu beaucoup trop polémique aujourd’hui.
Au-delà des étapes de son parcours personnel, intime, raconté avec habileté – ille raconte n’avoir aucun goût a priori pour l’autobiographie et être plutôt passionné-e par la construction de fictions -, Maia inscrit dans Genre queer des pistes de réflexion psychanalytiques ou biologiques (comme par exemple les écrits de la philosophe canadienne Patricia Churchland) permettant d’approcher son cas de manière objective, presque dédramatisée : quel que soit le crédit que l’on puisse accorder à certaines de ces théories, dont il convient par ailleurs de vérifier la validité, c’est une démarche qui équilibre, avec une certaine sérénité, un récit qui risquerait sinon d’être un simple portrait d’un être en proie à un profond malaise existentiel… Mais qui permet également d’universaliser ce que l’on pourrait écarter comme le simple cas particulier d’une personne « mal dans sa peau » et ayant « besoin d’être soignée », argument méprisant classique des réactionnaires de tout poil.
Intéressante aussi est la partie consacrée au choix de pronoms personnels non binaires, l’un des sujets, pourtant bien anecdotique, qui semble le plus mettre en rage les « anti-wokes » acharnés : Genre queer rappelle ainsi, tout en douceur, combien le fait d’être qualifié-e par les bons ou les mauvais mots est essentiel dans la définition, puis la permanence de son identité.
Ce qui est beau dans Genre queer, au-delà de ce dessin très ligne claire séduisant dès le premier coup d’œil, c’est la manière dont Maia Kobabe n’offre aucune conclusion, lénifiante ou satisfaisante, à son récit : rien n’est gagné, ou plus exactement, rien n’est joué, à l’heure où elle conclut son livre. Son combat avec ille-même, et avec les autres, continue. Mais au moins, quelque chose, même fragile, aura été partagé : et ça, comme l’écrit Maia, c’est autre victoire, petite, mais significative.
Eric Debarnot