L’été se termine, l’époque parfaite pour laisser la mélancolie nous envahir. Et pour ça, il n’y a guère de plus belle musique que celle de Peter Bruntnell, qui, grâce à My Life Is A Minestrone, jouait à Paris ce dimanche…
Peu connu du grand public, mais ayant amassé au cours d’une carrière déjà conséquente (depuis 1995, il en est déjà à son quatorzième album) une petite armée de fans enthousiastes dans différents pays – dont la France -, Peter Bruntnell est un musicien atypique, difficilement cataloguable : il fut l’un des premiers à être étiqueté par la presse musicale – lorsqu’elle existait encore – artiste « alt-country », il est souvent « accusé » de jouer de « l’americana », lui qui est britannique d’origine néo-zélandaise ; un ami nous expliquait que son chant évoquait parfois celui d’un Elvis Costello, ce qui n’est plus aussi évident en 2022… En tous cas, cet auteur-compositeur à la voix superbe, à la sensibilité à fleur de peau, au répertoire souvent déchirant, était invité ce dimanche dans la tranquillité d’un jardin de proche banlieue parisienne par les gens de bon goût de Life Is A Minestrone. Et, même si nous n’étions pas aussi nombreux que prévu dans la douceur de l’été finissant, Peter a généreusement déversé sur nous les charmes dangereusement mélancoliques de sa musique…
Il est 18h10 quand Peter attaque son set : avec sa barbe, on lui trouve un petit air de Javier Bardem, le genre d’idée absurde que vous n’arrivez plus à vous ôter de la tête pendant les quatre-vingt minutes que durera son set acoustique solo… Principalement à la guitare acoustique, mais aussi au bouzouki sur quelques morceaux (il nous raconte avoir appris cet instrument quand il en avait le temps, pendant une période de confinement particulièrement productive), Peter nous interprète donc dix-sept chansons qui parcourent un spectre émotionnel allant de la mélancolie légère au désespoir profond.
Le set démarre de manière très intimiste sur False Start (joke ?), le niveau de la voix dans la sono est insuffisant mais ce sera vite rectifié, pour une expérience tout confort. London Clay, un morceau plutôt connu de Peter, avec une mélodie presque pop, rappelle son amour pour la capitale anglaise, et nous embarque dans un beau voyage mélancolique, rendu encore plus enchanteur par l’atmosphère dans ce jardin suspendu à l’orée du monde, avec seulement des babillements d’enfants en fond sonore : ça nous change agréablement des bruits de verres et des conversations au bar dans la plupart des salles !
Faux départ ensuite avec une chanson dont Peter ne se souvient plus du texte… « On la jouera plus tard ! », nous promet-il, mais on croit bien qu’il n’arrivera pas à la tenir, cette promesse-là.
S’il y a un très léger reproche à faire à Peter, c’est l’absence de rupture de ton : on aimerait au moins un moment plus gai, oserait-on dire « drôle », dans un set qui navigue en permanence à un très haut niveau d’émotion. Alors, quand il nous annonce Black Mountain UFO en disant : « Il y a quelques années, j’ai été enlevé par un vaisseau extraterrestre et mon thérapeute m’a conseillé d’écrire quelques chansons pour partager l’expérience… », on se risque à sourire un peu. Raté ! Avec son harmonica très « Neil Young », c’est encore d’une fragile expérience amoureuse, entre espoir et déception, qu’il s’agit : « You’ve got such pretty eyes / Did my luck just change? / … / Black shadows fell at my door / When they claimed you were a fake… » (Tu as de si jolis yeux / Est-ce que ma chance vient de tourner ? / … / Des ombres noires sont tombées sur moi / Quand ils ont prétendu que tu étais une imposteur…).
Quand il introduit Heart of Straw, Peter se permet un petit coup de gueule politique, sans doute inévitable alors que la Grande-Bretagne sombre dans le chaos économique et social sous la direction de l’escroc Boris Johnson… que Peter rêve d’envoyer avec toute son équipe dans un voyage sans retour dans l’espace, vers le soleil (Journey to the Sun est le titre du dernier album de Peter…).
Au bout d’une heure, Peter nous demande s’il peut chanter quelques morceaux en plus, s’il ne nous ennuie pas trop : le public, qui manifeste bruyamment son enthousiasme au point d’être même capable de frapper dans les mains à la fin de certaines chansons, l’encourage à poursuivre. On aura donc encore droit à King of Madrid, une chanson composée parce qu’il avait adoré cette ville quand il l’avait découverte, dont il avoue que la mélodie est inspirée de celle de La La Land, puis à un Caroline absolument sublime : ce concert nous froisse terriblement le cœur et on a pourtant peur qu’il finisse… Long Wayne from home, une « chanson à propos de vieillir et de devenir sentimental » marque quand même le terme de ce voyage immobile.
Non, non, on ne le laissera pas partir comme ça, Peter : chacun lui réclame ses chansons préférées, et ce sera Merrion au bouzouki (avec son « Never Going Back » qu’on pourrait presque reprendre en chœur ; presque…), et puis le mini-hit By the Time My Head gets to Phoenix.
C’est fini, il est temps de se verser de grands verres de vin, et de philosopher entre amis sur l’injustice d’un monde qui ne reconnaît pas le talent de Peter Bruntnell. Il est temps de laisser la douceur de la nuit venir nous soulager.
Texte et photos : Eric Debarnot