Les punk rockers enragés et engagés de CLAMM succombent au syndrome du second album : refaire leur premier disque en moins inspiré mais en superlatif. Ils ne déméritent pas, mais on attend désormais un troisième disque qui change la donne.
Le premier album de CLAMM, Beseech Me, avait établi le trio australien comme l’un des plus beaux espoirs de la scène punk locale, et c’était donc avec impatience qu’on attendait un second album qui devait être, logiquement, celui de la consécration. Si Care marque une (petite) évolution du groupe, et confirme les grandes lignes directrices de la musique de CLAMM, force est de reconnaître qu’il constitue une déception : il semble en effet correspondre de manière presque caricaturale au fameux syndrome du second album, c’est-à-dire « la même chose que le premier, en moins bien »…
« They care for one / That’s what I see / They care for one / And they forget about all » (Ils ne se soucient de personne / C’est ce que je vois / Ils ne se soucient de personne / Et ils oublient tout le monde) : les premiers mots de l’album, sur la chanson Scheme, confirment d’emblée que la politisation aigüe du groupe, leur remise en question incessante d’un pouvoir politique qu’ils accusent encore et encore d’être déconnectés de la réalité du peuple (australien ou autre, le militantisme de CLAMM, comme celui de The Clash jadis, n’est pas limité aux problèmes locaux : le groupe se positionne comme les porte-paroles d’une jeunesse globale dégoûtée par la politique, et prête à la révolution. « I’m a part of a very crook setup / Paying taxes to sanction the innocent / Lock up the person that is sleeping on the street / While the politicians lie, steal and cheat » (Je fais partie d’une configuration bien pourrie / Je paie mes impôts pour punir les innocents / Pour enfermer celui qui dort dans la rue / Pendant que les politiciens mentent, volent et trichent), clame – jeu de mot un peu stupide – Jack Summers sur Incompetence…
De la même manière, CLAMM s’en prennent au conspirationnisme et au business de la peur qui fait le lit de l’extrême droite : « Stuck in the past / Fearmonger spread fast / Nothing good to say / … / But I don’t care about the shit you talk / Fact check, another shit report / Right wing, right, wrong / ‘Cause it’s written in a right wing font » (Coincés dans le passé / ceux qui se nourrissent de la peur se répandent rapidement / Ils n’ont rien de bon à dire / … / Mais je me fiche de la merde dont vous parlez / Après avoir vérifié les faits, c’est un autre rapport de merde / Aile droite, à droite, mensonger / Parce que c’est écrit dans une police de caractère de droite) (Fearmonger).
Les chansons qui n’ont pas de thème politique au premier plan creusent le sillon du mal-être général d’une génération qui ne trouve plus ses repères entre un désastre économique croissant qui condamne les classes sociales moyennes à une pauvreté croissante, et les perspectives d’un véritable « no future » environnemental… Et, comme on le réalise de plus en plus, le punk rock, joué en respectant plus ou moins les canons du genre, est l’expression idéale de ce dégoût qui pourrait bien devenir une véritable révolte.
Le problème de Care se situe plus dans la forme que dans le fond : on a le sentiment d’y identifier moins de bonnes chansons que dans le premier album, et que l’absence d’inspiration est dissimulée par une accentuation – voire une exagération – de la violence de la musique, de la rage du chant : la production, meilleure – au sens de plus riche, plus… professionnelle – de l’album le rend plus impressionnant, mais pas forcément plus impactant émotionnellement. Bit Much, le premier single, ne manque pas de puissance, juste un tantinet d’inspiration et d’originalité : on ne peut pas s’empêcher de juger que la pertinence de cette crise de colère contre la saturation permanente – d’informations, d’injonctions contradictoires, de menaces plus ou moins réelles – caractérisant notre monde actuel aurait mérité un hymne plus mémorisable. Quand les Clash racontaient que Londres brûlait, ou exhortaient la jeunesse blanche à rejoindre les émeutiers blacks dans les rues, écouter une seule fois leurs chansons les rendait inoubliables. Finalement, CLAMM semble désormais plus proche formellement du punk hardcore US des décennies 80 et 90, et on sait bien a posteriori que ce mouvement-là, à la fois plus radical et moins enthousiasmant au premier degré, eu bien moins d’impact sur la jeunesse du monde.
Trop uniformément intense pour son bien, Care laisse néanmoins percer des pistes possibles pour une évolution du groupe qui lui permette de sortir de l’impasse formelle qui se dessine : l’intervention d’un saxo hystérique (un instrument qui revient décidément à la mode) sur Fearmonger et NRG, l’utilisation d’un synthé pour lancer le même NRG, la participation encore timide de la bassiste Maisie Everett au chant (l’excellent Monday – et dieu qu’on adore ce procédé littéralement génial des vocaux masculin / féminin se répondant ! -), tout ça laisse entendre une possibilité pour CLAMM d’évoluer sans trahir la colère et la frustration qui nourrit le groupe.
Parions sur le troisième album !
Eric Debarnot