Les choix pour le moins critiquables de la direction du Festival privant largement le gros du public de l’accès à la Grande Scène, nous avons revu notre programme et ciblé notre première journée sur les scènes « secondaires » où il se passait des choses passionnantes…
Une grosse surprise – et pas une bonne – nous attend en arrivant devant la grande scène en cette première journée de Rock en Seine : plus de la moitié de l’espace devant la scène a été clôturé et réservé au public VIP prêt à payer un supplément pour le privilège d’être au premier rang. Un système qualifié de « golden pit » en place depuis longtemps aux Amériques, qu’on déplore de voir arriver en France… il n’est que 16h, mais il est déjà illusoire d’espérer pouvoir assister au concert de Arctic Monkeys dans des conditions correctes, le public non-VIP étant déjà massé dans le peu d’espace qui lui est réservé… Il ne nous reste plus qu’à revoir notre programme du jour en en excluant la Grande Scène, donc bye bye IDLES et Arctic Monkeys (et plus désolant encore, bye bye Nick Cave demain soir…).
16h35 à la Scène de la Cascade : Encore une déception en arrivant à notre chère Scène de la Cascade, qui a accueilli au fil des années certaines de nos plus belles émotions à Rock en Seine… La taille de l’espace entre la scène et la barrière a doublé, ressemblant désormais plus à une douve autour d’un château fort souhaitant mieux résister aux assauts des gueux – ceux qui visiblement, pour la Direction du Festival, ne paient pas assez cher – : il semble que cette décision ait été prise pour laisser plus de place à la louma pour manœuvrer, ce qui reflète une volonté de privilégier la transmission télévisée au détriment du public présent. Mais cette configuration prive aussi radicalement les artistes de tout contact avec leur public, ce contact qui est tellement essentiel à la réussite d’un concert. Et on va voir d’entrée l’impact désastreux que ça a, avec Yard Act. Yard Act ont été à la Route du Rock la semaine précédente l’un des groupes qui a « mis le feu » : rien de tout ça cet après-midi, malgré les tentatives très insistantes de James Smith, le chanteur, pour animer la foule et communiquer… En plein cagnard (ce qui n’aide pas), et malgré un public très supportif – une grande majorité de Britanniques étaient là pour les soutenir – Yard Act ont fini par baisser les bras et livrer un set sans grande âme… On a bien sûr aimé les merveilleux Rich, Payday (« Take the Money and Run ! ») et Pour Another, des titres à la fois drôles et violents, et le jeu de guitare foutraque de Sam Shjipstone. La sortie de scène de James, quasiment sans un mot et avant que le dernier titre, Land of the Blind, ne soit terminé (…de manière il est vrai instrumentale), a quand même jeté un froid.
17h30 à la Scène Firestone : nous y courons vite, vite – heureusement, c’est à côté…- pour ne pas manquer le démarrage du set des très jeunes Irlandais de NewDad, dont on commence à parler. Là, au moins, on est proche du groupe… mais le service d’ordre, de manière très étonnante, et largement absurde, nous interdit de nous coller à la barrière (on a visiblement le droit de poser les mains dessus, mais pas le corps contre… On croit rêver !). Bon, passons… Nous sommes à la fois ravis par ce tout jeune groupe qui respecte la parité hommes / femmes (même si je crois bien que ce sont Julie et Áindle, les filles, qui dirigent !), par leur sincérité souriante, par leur indie pop vaporeuse plutôt années 90 (avec un style très caractéristique, comme sur leur mini-tube Say It)… et un peu déçus par le fait qu’ils n’aient pas un peu plus fait parler la poudre, et que leur set n’ait gagné en énergie que sur les trois derniers morceaux. Un groupe à suivre, néanmoins…
18h20 à la Scène du Bosquet : On reste dans un style finalement assez proche de celui de NewDad, en un peu plus rock, avec Beabadoobee – c’est-à-dire Beatrice Laus -, une jeune artiste londonienne originaire des Philippines, dont nous attendions avec impatience le premier passage en France : elle nous avait offert un bel album en 2020, Fake It Flowers, dans une tradition indie pop / noisy pop là aussi très années 80-90, mais avec beaucoup de grâce. Nous avons la (bonne) surprise de voir une fosse prise d’assaut par des centaines de fans très jeunes, qui ont transformé le concert en une vraie fête : il est rassurant de voir qu’une artiste un peu pop comme Beabadoobee peut donner à la jeunesse le goût d’écouter des musiques où la guitare électrique et l’énergie font à nouveau sens. Musicalement, on dira qu’on était quelque part entre The Primitives et Garbage, mais avec quelques glissements malheureux vers une pop plus contemporaine, trop sucrée et inconséquente… Et c’est un peu stupide aussi de dire ça, mais on peut trouver Beabadoobbee finalement trop souriante, trop contente d’être là aussi, pour véhiculer la « petite » agressivité de son album. Bon, son hit Care est très efficace, elle est soutenue par un groupe crédible, et elle a fait un véritable triomphe…
20h35 à la Scène de la Cascade : le temps de boire notre première bière, bien méritée, après avoir fait la queue pendant près de trente-cinq minutes, et nous sommes prêts pour le couronnement inévitable (?) d’une belle journée finalement satisfaisante, si l’on tient compte de notre boycott de la Grande Scène : avec une setlist bien équilibrée entre leurs trois albums, Fontaines D.C. vont nous proposer un concert littéralement monstrueux, le meilleur que nous ayons jamais vu d’eux depuis leurs tous débuts (…mais il est vrai que nous n’étions pas à la Route du Rock, où ils ont été, paraît-il, excellents aussi). Le son était énorme, les lumières étaient magnifiques (mais aveuglantes et probablement déconseillées aux épileptiques), la musique a atteint une violence parfois paroxystique, et… même Grian Chatten a abandonné par moments son habituelle attitude quasi-autiste pour mettre beaucoup d’intensité dans certaines chansons. On a vu, à la différence de Yard Act plus tôt, que la maturité et la force d’un grand groupe pouvait se jouer de la barrière de la distance physique avec le public… Un public qui était aux anges, et régulièrement déchaîné : nous avons été bien, bien broyés au premier rang, mais cela valait la peine : Fontaines D.C. sont maintenant capables de nous offrir de GRANDS set. Si les morceaux du premier album restent les meilleurs pour faire parler la poudre, le final sur I Love You a été particulièrement terrible et extatique !
Il est temps de planifier notre journée de demain, en espérant qu’elle nous offre, à l’écart de la Grande Scène et de ses VIPs retardataires, la même richesse musicale qu’aujourd’hui.
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil et Eric Debarnot (Beabadoobee)