Pour son 8ème album, Gnosis, Russian Circles frappe fort ! Est-ce si étonnant de la part du trio de Chicago ? Non, évidemment. Russian Circles est connu pour produire une musique dense, lourde, puissante, une musique qui emporte tout, mais qui se révèle d’une très grande richesse et d’une incroyable inventivité. Et d’une telle beauté… Un album imparable, au milieu d’une discographie incroyable.
Gnosis semble être bien plus fort, intense, dur et sombre que les autres albums du groupe. Peut-être est-ce parce que, à la différence des deux albums précédents, Guidance (2016) et Blood Year (2019), Gnosis ne commence pas par un morceau calme. Peut-être est-ce à cause du niveau sonore, de la profondeur quasi-mystique de certains morceaux… Quoi qu’il en soit, pas le temps de s’habituer, de rentrer dans l’album, à peine le temps de rentrer dans les morceaux, Russian Circles matraque d’emblée. On pourra se souvenir que le dernier morceau du dernier album, Quartered, n’avait rien d’une bluette. Gnosis reprend précisément là, juste après Quartered, et enchaîne. Le même rythme infernal. La même profondeur apocalyptique. D’emblée, Russian Circles fait hurler les instruments, ronfler les basses, résonner la batterie.
Les deux premiers morceaux, Tupilak et surtout le Conduit, sont énormes… Un son massif, des riffs de guitare uniformes et d’une sècheresse rares, implacables ; des tronçonneuses qui bûcheronnent au fond de forêts obscures. La combinaison guitare, basse et batterie crée alors l’impression d’être face à une muraille, un monolithe (noir, évidemment), impénétrable. Une matière qui vient de l’au-delà, d’ailleurs. Quelques morceaux plus tard, Betrayal, est encore plus énorme, plus sec, plus monolithique. Le déluge sonore en devient presque pénible, insupportable. 3 morceaux, Russian Circles, un peu plus d’un quart d’heure qui dure une éternité semble-t-il. Mais quel plaisir, quelle joie à se plonger dans ce bain de métal en fusion !
Voilà le miracle qu’accomplit la musique de Russian Circles : écoutée à un niveau sonore décent, elle se développe, prend toute la place disponible entre les oreilles. Il faut l’accepter et accepter de se laisser emporter, enfermer. Se laisser désorienter. Et là, quand on ne résiste plus, quand on accepte cette force pure, des paysages fantastiques s’ouvrent, dont la richesse ne peut qu’émerveiller. Chaque morceau devient un moment de pur bonheur, s’enchaîne au précédent, se colle au suivant — et ce quelles que soient les différences de rythme qui existent de l’un à l’autre. Écouter Gnosis devient une vraie expérience sonore, et mystique. On perçoit parfaitement, derrière la batterie et la basse, les changements de rythme, les arabesques et les volutes que les guitares dessinent. La façade laisse passer des rayons de lumière. La musique apparaît pour ce qu’elle est : subtile et raffinée. Russian Circles n’est certainement pas un groupe brutal. On le savait. Et si on ne le savait pas, on le comprend même dans les moments les plus intenses de l’album.
Que Russian Circles ne soit pas un groupe brutal est rendu encore plus évident par les 3 autres morceaux de l’album – Gnosis, Ó Braonáin et Bloom. Le groupe démontre là sa capacité à changer de rythme complètement. Ces morceaux font l’effet d’un baume apaisant, après les coups de boutoirs qui précèdent et qui suivent. Mélodiques, délicats, pleins d’une ampleur et d’une émotion incroyable, ces morceaux sont à pleurer de beauté. Comment résister à Gnosis, sans doute le morceau le plus beau, le plus complet, le plus riche de l’album ? Comment résister à ce rythme qui monte doucement, lentement, progressivement pour terminer avec plus d’une minute de riffs de guitare qui sonnent comme un marche militaire. Epuisant, exaltant, grisant. Et que dire de Vlastimil, finalement peut-être le morceau le plus beau, le plus complet, le plus riche de l’album ! Vlastimil, qui combine la dureté des morceaux les plus durs de l’album, avec la subtilité de Gnosis. Un tumulte sonore, mélancolique, presque triste mais si beau. Russian Circles, un groupe entre Mogwai et God Speed you Black Emperor ! Un groupe magique.
Alain Marciano