Superbe journée musicale pour les amateurs de Rock prêts à éviter le chaos de la Grande Scène créé par l’espace Golden Pit : quasiment que du bon ou du très bon à la Cascade et au Bosquet, du feu allumé par Jehnny Beth à la 3D glaçante de Kraftwerk. Avec en plus, une compétition inattendue des plus belles grimaces…
Et on est reparti pour la seconde (et dernière pour les amoureux du Rock, puisque le samedi et le dimanche sont quasiment exclusivement réservés au hip hop et à la pop commerciale) journée de Rock en Seine. Le soleil déverse toujours abondamment ses rayons, et la chaleur monte…
15h45 à la Scène de la Cascade : … ce qui n’est pas le meilleur environnement pour apprécier les vampires gothiques de Jehnny Beth qui, chaussée de Louboutins magnifiques et en t-shirt « Badasse » et jupette de cuir, vient présenter pour la première fois à Paris sa nouvelle musique. Mais, aucune inquiétude à avoir avec une aussi belle personne et une performeuse aussi généreuse que Jehnny : le feu a été mis dès les premières minutes d’un set impressionnant. La musique que compose et joue désormais l’ex-figure de proue de Savages n’est plus du Rock à guitares, mais bel et bien de la musique électronique énervée et déjantée façon Nine Inch Nails : Jehnny reprendra d’ailleurs sans complexe, et elle a bien raison, leur célèbre Closer avec son « I wanna fuck you like an animal ! »…
Jehnny sera aussi, à notre connaissance, la première à grimper sur la barrière (la première fois pieds nus en se brûlant les pieds sur les tôles de l’immense espace entre la scène et le public, et la seconde en talons aiguilles !) pour nous faire crier « More Adrenaline »… et à aller ensuite chanter au milieu de la foule. Soutenue par un bassiste-clavériste qui semble réellement sorti d’un bouquin de Bram Stoker, et par une claviériste sculpturale au look étonnant, Jehnny a gardé de son passé rock son goût pour les vocaux incantatoires (elle sonne par moments de plus en plus comme Patti Smith, ce qui est un compliment !). Mais Jehnny est aussi une artiste engagée dans le bon sens du terme : moquant le nouveau monde promis (New World) pour en proposer une version bien plus excitante, bien plus sexuelle, elle porte surtout haut et fort la parole des femmes, en particulier sur son manifeste I am a Man (« … and I have a pussy ! »).
Si l’on peut trouver que le set a manqué de moments paroxystiques qui en auraient fait une expérience extraordinaire, Jehnny Beth nous aura offert LA performance scénique Rock du Festival (on écrit ça sans avoir vu Nick Cave, qui a forcément, on l’imagine, tout défoncé…).
17h15 à la scène de la Cascade : DIIV nous viennent de Brooklyn, un lieu où le Rock a toujours été particulière foisonnant, et sont attendus par un contingent new-yorkais impressionnant qui vont leur faire la fête ! La configuration du groupe est a priori étonnante, avec le leader Zachary Cold Smith et Colin Caulfield, le bassiste, qui chantent – souvent ensemble – à droite et à gauche, tandis qu’Andrew Bailey, le guitariste soliste, est placé entre eux. Expliquons tout de suite que Bailey fait aussi tout un tas de grimaces marrantes ou effrayantes, genre clown tueur de Ça, ce qui nous donnera l’idée de lui décerner le prix des meilleures grimaces (… tout au moins jusqu’à…).
La musique de DIIV (prononcer « Dive » !) oscille entre shoegaze très mélodique à la Slowdive, et explosions violentes qu’on pourrait qualifier de grunge. Malgré nos réticences initiales (parce qu’on ne nous avait pas dit grand bien du groupe), tout cela prend corps et devient alternativement très beau et très excitant. Le final sur Blankenship est même une tuerie magnifique avec un moshpit infernal dans la poussière.
En plus, ces petits gars avouent avec une modestie bien sympathique ne pas avoir l’habitude de se produire devant autant de gens. « On n’aurait jamais rêvé jouer un jour sur la même scène que Kraftwerk ! ». Ils en ont pourtant l’envergure !
Impossible en revanche de profiter du set de Lucy Blue, qui démarre avec 10 bonnes minutes de retard et nous fait fuir – et nous ne sommes pas les seuls – du fait d’un son effroyable. C’est dommage car la chanteuse a une jolie voix, mais là, ce n’était juste pas possible. Autant aller voir le soundcheck de Los Bitchos…
19h00 sur la Scène du Bosquet : Los Bitchos, il y a pas mal de gens qui les prennent de haut, parce que, quelque part, ce n’est pas vraiment sérieux, ces quatre filles de Londres qui s’amusent comme des folles (avec quand même un guitariste rythmique mâle…). Leur musique, principalement instrumentale, n’est pas si loin de la surf music avec une prépondérance de la guitare (Serra Petale, sans être une grande virtuose, nous offre des moments littéralement ébouriffants !), mais arrosée d’influences du monde entier, sud-américaines (les références à la cumbia, fameux style musical colombien, sont nombreuses), voire parfois orientalisantes ou celtes.
Les filles dégagent une sympathie immédiate, et semblent vraiment être là pour prendre avant tout du plaisir, ce qui nous va bien : mais bon dieu, pourquoi est-ce que les rockeurs se sentent la plupart du temps la nécessité d’être sérieux, voire de faire la gueule ? Serra est hilarante, avec ses grimaces incessantes et ses petites plaisanteries à ses copines (et nous lui attribuerons finalement la palme de la grimace RES 2022 !).
Bon, au bout de 30 minutes, on a le droit de trouver ça répétitif, et de décrocher un peu, mais les dernières 20 minutes vont s’avérer parfaites, avec même un étonnant moment d’émotion où Serra aura les larmes aux yeux devant l’enthousiasme du public. Final frénétique parfaitement réjouissant avec Agustina, la claviériste, qui nous fait gueuler en chœur : « Tequila ! ».
21h15 sur la Scène de la Cascade, Kraftwerk : on comprend enfin la raison de cette configuration étrange de la Scène de la Cascade, de la nécessité de ce recul exagéré du public : c’était donc pour permettre au spectacle en 3D (avec lunettes, pour tout le monde, distribuées avant le set !) d’être visible par tous !
Bon, pour ceux qui, comme nous, n’avaient jamais vu sur scène les vétérans de la musique électronique, c’était l’occasion idéale de rattraper cette lacune, dans des conditions parfaites : depuis le premier rang, même un peu décalés, tout était absolument impeccable (ah, le savoir-faire technologique allemand !). Que des tubes (enfin, dans le monde rétro-futuriste de Kraftwerk) magnifiquement illustrés par ces projections 3D qui tiraient des « oh ! » et des « ah ! », aux spectateurs. La version de Radioactivity, intégrant bien entendu maintenant Fukushima, a été particulièrement efficace, et bien reçue.
Bon, on nous rétorquera qu’il ne s’agissait pas d’un « vrai concert » (même si nos quatre musiciens bidouillent des trucs mystérieux sur leur tables…), mais bien d’un (superbe) spectacle qui vous en met plein les mirettes et les esgourdes en même temps : car le son était monstrueux comme il le fallait, et parfait lui aussi !
Belle clôture de cette seconde journée, même si nous avons un peu le cœur qui saigne de ne pas pouvoir être là-bas, au premier rang, devant un Nick Cave qui aura certainement été, comme toujours, impérial…
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil et Eric Debarnot (Kraftwerk)