Promenade impressionnante, énigmatique dans un drôle d’univers vidéo-ludique qui tient aussi de l’exploration onirique et psychanalytique, ReV est une expérience graphique sans pareille. Allez, « entrez dans le rêve » !
Quoi de mieux a priori que la BD pour matérialiser des visions oniriques, puisqu’aucune limite technique, si ce n’est le talent du dessinateur, ne vient a priori brider l’imaginaire, que toute vision peut être matérialisée et donc transmise au lecteur, quelle qu’en soit la démesure, la folie ? Mais ce « no limit » ne constitue-t-il pas en même temps un problème, puisqu’en ayant depuis longtemps (depuis ses origines en fait) fait un formidable usage de cette liberté formelle pour raconter des millions d’histoires, comment peut-on aller plus loin, et transmettre au lecteur des concepts comme la virtualité (alors que même le réel en BD est finalement excessivement « virtuel ») ou comme les rêves (alors que tout peut y advenir, même dans une situation supposée « réelle ») ?
En ambitionnant – car c’est une ambition, et démesurée, même – de nous raconter l’immersion de Gladys, une jeune femme peu familière avec les jeux vidéo et les aventures virtuelles, dans une « psymulation » qui va la mettre face à des situations tantôt cocasses, tantôt étrangement dangereuses, Edouard Cour s’est forcément posé la question de la forme. Du comment aller plus loin pour que le lecteur se trouve aussi dépaysé, aussi chamboulé dans ses habitudes que son personnage de « gamer » malgré elle ? Ce qu’on constate en tous cas, c’est que la réponse formelle qu’il apporte à cette question est littéralement extraordinaire…
ReV ne ressemble quasiment à rien qu’on ai jamais vu, jamais lu avant : l’immersion du lecteur, après quelques pages qui lui permette de s’accoutumer à l’étrangeté de cet univers (virtuel, donc, mais également rêvé, voire psychanalytique), est totale. Et la lecture, malgré l’éclatement de l’image, la déstructuration du mouvement, les ruptures stylistiques (et de ton, puisqu’on passe bien vite de l’humour à l’angoisse…) est loin d’être aussi difficile qu’on pourrait le craindre. Quelque chose de joliment ludique empreint peu à peu ReV, ce qui, nous direz-vous, est bien l’effet souhaité, puisqu’on parle quand même ici d’un jeu vidéo !
En combinant toutes sortes de styles graphiques, de techniques différentes, en ne se refusant aucune audace, mais en ne tombant jamais dans la prétention (ni la prise de tête du lecteur…) grâce à une belle légèreté dans la narration et les dialogues, Edouard Cour fait de ReV une lecture aussi dépaysante que satisfaisante (… si l’on excepte pas mal de phylactères trop petits pour le confort des yeux, même en admettant que ces variations de taille des lettres relèvent aussi du procédé narratif).
ReV est un livre qu’il fait lire au moins trois fois, deux pour comprendre l’histoire – même avec cette fin mystérieuse qui laissera presque espérer un second volume qui l’expliciterait… – et une troisième pour purement jouir de la beauté de certaines pages. ReV est une… expérience. Réussie.
Eric Debarnot