Léa Mysius, parfois habilement, parfois maladroitement, confronte l’étrange à un réalisme social brut et sans affect. Et surtout à une histoire de désirs et, de ces désirs enfouis trop longtemps, une quête des origines.
En apparence, tout à l’air normal. Joanne et Jimmy forment un couple banal, sans histoire croit-on, elle maître-nageuse et lui pompier, déjà on perçoit la symbolique qui s’invite, cette idée du contraire (passé/présent, eau/feu, enfant/adulte, masculin/féminin…) qui aiguise le film, en tout cas une des idées du film, il y en aura d’autres, et ils ont une petite fille de dix ans, Vicky, un peu solitaire, la tignasse superbe, le regard à l’affût, et ce don qu’elle a de sentir et de reproduire toutes les odeurs qu’elle collectionne en les «enfermant» dans des bocaux. Et puis Julia, la sœur de Jimmy, fait et refait irruption dans leur vie après des années d’absence dont on comprendra, au fil des événements et grâce à la faculté de Vicky de pouvoir être projetée dans les souvenirs de Julia, les vraies raisons qui l’ont poussées à partir. À devoir fuir, à s’exiler presque.
Léa Mysius, parfois habilement, parfois maladroitement, sait confronter l’étrange à un réalisme social brut et sans affect. Et surtout à une histoire de désirs, cœur du récit palpitant, et, de ces désirs enfouis, une quête des origines. Du chaos qui frémit au retour de Julia, de divers effluves qui transportent, on s’interroge, on se (re)découvre, on se reconquiert. Ce ne sont pas tant les révélations sur la part de mystère entourant Julia qui intéressent Mysius (et dont on comprendra très vite la nature), mais davantage les conséquences (et, antérieurement, les causes) qui viendront troubler les existences de chacune et chacun, redéfinissant soudain les liens amoureux et familiaux.
Et si étrange il y a, il flirte avec une sorte de mysticisme ancestral, de quelque chose qui sourd, comme sauvage et tellurique (l’action se déroule au pied, à l’ombre d’une imposante montagne). Mais peut-être manque-t-il un grain de folie, plus de singularité à l’affaire (d’ailleurs Mysius paraît l’avoir senti, expliquant qu’avec sa monteuse, « nous étions constamment écartelées entre une envie de film familial un peu bordélique […] et un film de genre plus sérieux, plus sombre, angoissant, primitif et mystérieux »). Et peut-être le film est-il trop sage, bizarroïde certes, mais jamais capable de lâcher prise entièrement, de surprendre, de toucher aussi dans cette chronique d’une passion empêchée ouvrant à d’autres destinées, et en ravivant d’autres encore quand elle éclot à nouveau.
Michaël Pigé