Réaliser une bonne série TV d’espionnage n’est pas chose simple, surtout si l’on veut aussi faire rire le téléspectateur : sans doute parce qu’elle est anglaise, Slow Horses relève brillamment le défi de conjuguer thriller, complexité de l’intrigue, plaisanteries irrésistibles, et même pertinence politique. Une vraie réussite !
River Cartwright, un jeune aspirant-agent du MI5, échoue de manière dramatique lors d’une mission destinée à valider son accession finale au saint des saints, le siège de l’organisation à Regent’s Park. Il est « mis au placard » et rejoint une équipe d’incompétents (comme lui…), les « Slow Horses » (les chevaux lents) dirigé par un patron au comportement méprisant et à l’hygiène corporelle douteuse. Mais, comme nous sommes dans le monde merveilleux de l’espionnage, tel que John Le Carré – d’ailleurs cité dans les dialogues – l’a décrit et immortalisé dans ses romans, rien n’est en réalité ce qu’il paraît au premier abord, et Cartwright va se trouver plongé au cœur de l’affaire la plus en vue du moment en Grande-Bretagne, l’enlèvement d’un jeune Pakistanais par un groupuscule d’extrême-droite…
Nouvelle réussite (… au point qu’on est fatigué de faire la liste de leurs récents triomphes artistiques…) de la plateforme Apple TV+, Slow Horses est une formidable série d’espionnage, à la fois stressante comme tout bon thriller et hilarante grâce à des dialogues pétillants et un enchaînement de situations régulièrement absurdes. Ce qui signifie que Slow Horses échappe à la plupart des stéréotypes, et exige de son téléspectateur la volonté de se confronter à une intrigue complexe jamais « pré-mâchée » par les scénaristes, à réagir très vite à des vannes percutantes, et à faire des aller-retours incessants entre horreur (quel monde abject que celui de la politique et des renseignements !), consternation (l’humanité peut-elle réellement être aussi abjecte ?) et rires nerveux devant des plaisanteries qui peuvent être très, très lourdes !
Gary Oldman – comme toujours – est brillant, et justifie à lui seul de regarder Slow Horses : même s’il nous faut d’abord – comme les personnages de la série, d’ailleurs – accepter sa personnalité des plus déplaisantes, il s’avérera vite charismatique en diable, sans pour autant se départir de ses attitudes borderline. Bref, encore un grand rôle pour l’un des meilleurs acteurs anglais de sa génération. Face à lui, Kristin Scott Thomas joue dans un registre inhabituel pour elle de monstre froid et calculateur, et leur affrontement acharné nous réserve plusieurs moments brillants d’intelligence. Jack Lowden, dans le rôle du jeune agent téméraire, est juste adéquat, mais il faut bien admettre qu’il a fort à faire pour exister à l’écran au milieu d’un tel casting.
Le scénario de cette première saison de Slow Horses est bien construit, sans baisse de rythme – même s’il y a çà et là un peu de complaisance dans les passages humoristiques – puisque chaque épisode nous réserve de belles surprises qui ne sonnent jamais forcées, mais montrent que, comme chez Le Carré donc, le monde de l’espionnage est rempli de faux-semblants, de chausse-trappes et de pièges, dont la plupart peuvent se révéler mortels.
Cerise sur le gâteau, le sujet de cette première saison, la montée de l’extrême-droite en Grande-Bretagne, s’avère particulièrement pertinent par rapport au contexte politique réel du pays, ce qui permet à Will Smith – rien à avoir avec celui auquel vous pensez – et son équipe de nous rappeler quelques vérités bien senties sur l’islam, sur l’immigration, et sur l’intelligence – pas très élevée en générale – des gros bras professant « une Angleterre aux Anglais » !
Le dernier épisode conclut l’histoire principale, sans manichéisme ni simplisme, mais balance deux révélations inattendues qui nous donnent très envie de passer à la saison 2… Que nous n’aurons pas, espérons-le, à attendre 1 an…
Eric Debarnot