Butch Walker poursuit sa carrière solo injustement méconnue dans nos contrées avec un album à l’ancienne sous les traits de son alter-ego, un pianiste de bar fauché et mélancolique, répondant au doux nom de Glenn. Serait-ce l’occasion de revenir sur son talent pour déplorer l’indifférence dont il fait le plus souvent l’objet ? Hein, quoi ? Qui ça ? Allons, allons, jamais nous n’oserions…
Il est des sujets qui peuvent navrer, tant les aborder revient systématiquement à constater le manque d’évolution de leur perception par le public. Bien évidemment, nous allons nous intéresser au cas Butch Walker. Qui ça ? Mais si, vous connaissez… Ah bon ? Vraiment ? C’est tout de même très étonnant, dites donc ! Trêve de bagatelles, rassurez-vous tout de suite. Personne n’aura le droit de vous juger si ce nom ne vous évoque rien ou presque. En dépit de bientôt quarante ans de présence sur la scène internationale, Bradley Glenn (c’est important) Walker, dit Butch, demeure un illustre inconnu dans nos contrées hexagonales. La situation est à peine moins critique dans sa terre natale outre-Atlantique, où il est surtout connu comme producteur en vogue pour de grosses têtes d’affiches telles que Weezer, Green Day, Panic! At the Disco, Fall Out Boy ou P!nk. Du grand monde, donc, à défaut d’être systématiquement du beau monde. Certains se souviennent occasionnellement de lui comme leader de Marvelous 3, éphémère trio pop rock ayant décroché un hit de seconde zone avec Freak of the Week en 1998. D’autres, plus âgés et dotés d’une mémoire moins sélective (d’un goût moins pointu, diront certains), penseront à son impressionnante dextérité guitaristique sur les deux albums de SouthGang, tentative sudiste de coller aux santiags de Guns N’ Roses et Skid Row à l’orée des nineties, époque où le hard rock à permanente commençait déjà à prendre le vent en proue.
Pourtant, si ce natif de Georgie mérite bien plus d’attention et d’amour, c’est pour sa carrière solo, qui recèle de très beaux travaux encore méconnus du grand public, dans un registre pourtant parfaitement à même de conquérir les masses (oui, ça peut être positif et, dans le cas présent, enviable). Après les sympathiques (quoiqu’un peu formatés et convenus) Left of Self-Centered (2002) et Letters (2004), vient le très chouette The Rise and Fall of Butch Walker & the Let’s-Go-Out-Tonites (2006), dont la première moitié (comme son titre) est un bel hommage au glam de Bowie et T.Rex, et la seconde un agréable exercice de power pop à l’américaine, le tout dressant un portrait sardonique des excès de la scène rock Hollywoodienne. Suivent ensuite l’excellent Sycamore Meadows (2008), à ranger le plus près possible du Wildflowers de Tom Petty, et son petit frère I Liked It Better When You Had No Heart (2010), empruntant des détours plus pop et orchestrés. Puis, The Spade (2011) réjouissante récré avec un backing band de potes, les Black Widows, pour un résultat brassant Stones, Cheap Trick et Springsteen dans la même tambouille à guitares tapageuses. Un sommet est atteint en 2015 avec Afraid of Ghosts où Butch, inspiré malheureusement par le décès de son père, touche à la beauté crépusculaire de Neil Young et Jeff Buckley. L’année suivante, Stay Gold officialise un retour à un rock Springsteeno-stonien plus enjoué, avant l’arrivée du concept-album American Love Story (2020), petite réussite de radio rock ambitieux autour de l’histoire d’un redneck tentant de renouer avec le fils homosexuel qu’il a jadis abandonné.
Deux ans plus tard, nous voici enfin réunis en 2022 pour parler de… Glenn. Inspiré par une collaboration avec la chanteuse Morgan Kibby (qui co-signe les textes du projet), Butch a utilisé son second prénom pour créer un alter-ego qui se trouve être… un chanteur de bar, totalement inconnu. Tiens donc. L’idée derrière ce nouvel album ? Créer une bande-son à la vie d’un musicien fauché, vivotant au gré des pourboires de soirées dans les bars à cowboys du coin. Le premier single Holy Water Hangover annonçait clairement la couleur : celle du marron cuivré des comptoirs lissés par les verres à bières, mais aussi d’une grammaire pop surannée, taillée au piano et faisant du pied à toute une caste de songwriters sur tabourets. Billy Joel, Elton John, Jackson Browne, la liste pourrait être longue comme un lendemain de cuite.
Après une courte introduction d’ambiance, les festivités démarrent avec Leather Weather (Mr. and Ms. Understanding), second single aux mélodies bien troussées, mais dont les vocaux les plus haut-perchés sont parfois sur le fil de la justesse, ce qui détonne étrangement avec les performances plutôt irréprochables du reste du projet. Roll Away (Like a Stone) est une excellente démonstration de force de Butch (euh pardon, de Glenn !), parvenant en 2022 à rendre pertinente une suite d’accords tout droit sortie de chez Billy Joel période Turnstiles/The Stranger. Avalanche n’est pas le titre le plus marquant du lot, pour la simple raison que Butch a déjà signé de meilleures chansons dans la même veine sur ses travaux précédents. Toujours est-il qu’elle ne fait pas double emploi dans le cas présent, puisqu’il s’agit de la seule incursion de Glenn dans ce registre.
Les titres plus lents tirent convenablement leur épingle du jeu, sans forcément surprendre. State-Line Fireworks est un joli duo avec Morgan Kibby sous son propre alter-ego Sue Clayton. Slow Leak, vignette soft rock à l’ancienne, est sans doute la composition la plus ouvertement inspirée par Billy Joel. Tell Me I’m Pretty (Bethamphetamine Pt 2) et The Negotiator dynamisent l’ensemble avec une gouaille rock plus pugnace, tandis que les deux ballades piano/voix, Don’t Let It Weigh Heavy on Your Heart et Lean Into Me sont des tire-larmes instantanés. Outre leur élégance harmonique, l’impact provient des textes, qui s’attardent avec douceur sur ces moments où l’existence fait perdre pied pour mieux redonner un peu d’élan, quand la nuit semble longue et la lumière plus distante que jamais.
Ni une révolution musicale, ni un tournant vertigineux dans la discographie de Butch Walker, Glenn n’est rien de plus (mais rien de moins) qu’une preuve supplémentaire de son talent. Les (trop rares) connaisseurs de sa carrière prétexteront que ça n’était nullement nécessaire, mais l’anonymat persistant du bonhomme tend à leur donner tort. Glenn ouvre donc une jolie fenêtre vers le passé, dont on se prend à espérer qu’elle puisse servir de porte d’entrée à de nouveaux arrivants. Venez nombreux, vous êtes attendus depuis déjà fort longtemps.
Mattias Frances