Quinze ans plus tard, Maxïmo Park poursuit son chemin, devant un public plus réduit mais toujours aussi passionné par ce groupe plein de vigueur et de combativité. Et si ce concert à Petit Bain nous avait fait retomber amoureux de la bande à Paul Smith ?
Contrairement à ce que les Stones chantaient au début des années 60, le « temps » est loin d’être « du côté » des groupes de Rock qui laissent passer l’occasion d’accéder à une reconnaissance globale qui leur permettra d’atteindre une véritable longévité commerciale. Exemple du jour : Maxïmo Park, groupe anglais qui connut sa (petite) heure de gloire dans les années 2000, sans atteindre une popularité suffisante pour passer au niveau supérieur, et qui poursuit sa belle carrière dans une ombre relative, malgré d’excellents albums (le dernier, Nature Always Wins, est une réussite, d’ailleurs), qui le condamne à jouer dans des salles de plus en plus petites. C’est ainsi qu’en 2022, ce groupe qui remplissait le Bataclan en 2007 – 15 ans déjà – passe à Petit Bain, qui n’est même pas complet en ce dimanche soir de semaine de rentrée scolaire : heureusement, la convivialité bien connue du lieu, la qualité de la configuration de la salle et la passion d’un public de fidèles – dont pas mal ont fait le voyage depuis la Grande-Bretagne, comme Stuart, un jeune fan gallois dont l’enthousiasme illuminera le premier rang – vont faire de cette soirée une jolie réussite…
Mais la soirée commence, une demi-heure plus tôt qu’initialement prévu, par les filles de Peaness : il est 20h00 quand le trio de Chester, qui existe quand même depuis près d’une décennie, monte sur scène devant une salle encore à demi-remplie. On admire leur pugnacité et leur audace d’arborer un nom de groupe qui évoque ouvertement le membre masculin, et on aime immédiatement leur indie-pop nerveuse, mélodieuse et beaucoup plus originale qu’on pouvait le penser a priori. La combinaison des deux voix de Balla à la guitare et Jess à la basse, mais aussi le jeu de guitare de Balla, parfois jazzy, et rappelant par moments aussi le style « zoulou » sud-africain (quelqu’un se souvient ici du regretté Johnny Clegg et son Juluka / Savuka ?) comme sur les chansons What’s the Use ou irl, éloignent clairement Peaness du tout venant du rock anglais.
On aime tout chez Peaness… les mélodies éthérées, le sourire éclatant des filles, l’énergie joyeuse, l’engagement politique… Oh George est par exemple une violente chanson à charge contre le gouvernement tory : « You lied to me and my family / Oh George I should have known / You only think of your own / Total chaos / Things we had we’ve now lost / All your friends are just as bad / All your faces make me mad » (Tu nous as menti, à moi et à ma famille / Oh George j’aurais dû savoir / Que tu ne penses qu’à toi / Chaos total / Ce que nous avions, nous l’avons maintenant perdu / Tous tes amis sont tout aussi mauvais que toi / Tous vos visages me rendent fou)… Jolie première partie, et merci à Maxïmo Park d’embarquer dans leurs tournées des groupes de ce niveau…
21h : la scène est prête pour Maxïmo Park, avec le tapis habituel solidement fixé à la scène pour accueillir sans risques les cabrioles d’un Paul Smith – son fameux chapeau toujours vissé sur le crâne – sur lequel les années semblent n’avoir aucune prise. Le set commence fort avec All of Me, déclaration d’intention honnête et généreuse d’un groupe qui porte bien en évidence et son cœur et ses opinions politiques : « This song is where you belong / This is all of me / If I can’t include you / If art is apart / Well, then I disagree » (Cette chanson t’appartient / Elle dit tout de moi / Si je ne peux pas t’inclure / Si l’art est une chose à part / Eh bien, alors je ne suis pas d’accord). Impossible, même si on ne connaît pas la chanson, de ne pas reprendre en chœur le refrain, et de ne pas être aux anges devant cette foi intacte en la puissance du Rock et de la Pop Music !
Maxïmo Park, après le départ de deux de ses membres fondateurs, sont aujourd’hui un trio, appuyé sur scène par une organiste, la brillante et pétulante Jemma Freese, et un bassiste – efficace – qui restera en retrait pendant tout le set d’une heure trente. The Coast Is Always Changing agit comme un flashback nostalgique sur la jeunesse explosive du groupe, et Paul nous gratifie de l’un de ses fameux grands écarts en l’air – mais ce sera bien la seule fois de la soirée… L’âge l’aurait-il assagi, ou bien est-il simplement épuisé par un voyage difficile, leur bus de tournée étant resté derrière eux, en Pologne ?
Le set sera en fait consacré en priorité au dernier album, ce qui est toujours à notre avis un indice positif de la capacité d’un groupe à ne pas vivre sur son glorieux passé : huit titres sur douze seront interprétés, les meilleurs, comme le ravissant Baby, Sleep (encore un titre qu’on reprend instinctivement en chœur !) ou le pétulant Placeholder. Aucune raison de se plaindre, les chansons sont excellentes, le public britannique les connaît toutes, et Paul, même sans sauts de cabri, reste un showman intense, spectaculaire.
L’inspiration de Maxïmo Park est riche : le film Rocco et ses Frères pour The Hero, par exemple, mais c’est quand même dans la peinture sociale que le groupe excelle (Child of the Flatlands). Les piques envers les Tories et le Brexit sont nombreuses (le punky The National Health, datant de 2012 pourtant, et son fameux : « England is sick and I’m a casualty »…), mais toujours envoyées avec humour, avec subtilité : Paul Smith est engagé, mais n’est pas un prêcheur à la Bono, heureusement.
Stuart nous confie que lui, fan absolu de Maxïmo Park qui les suit à travers l’Europe, pense que leur meilleur album reste leur troisième, Quicken The Heart : nous sommes bien d’accord, et ce seront ce soir les deux titres de cet album qui s’avéreront les plus bouleversants. Questing, not Coasting, une chanson sur la mort, comme nous l’explique Paul en français, et surtout le prodigieux Calm, sommet de la soirée, prouvent que Maxïmo Park, parfois jugé comme un groupe de seconde division, est régulièrement grand.
Le nouveau titre, Great Art, est d’une belle efficacité musicale, mais a surtout le mérite de poser les bonnes questions quant à l’importance de la musique en 2022 : « Is this the great art you were hoping for? / While the emotionally numb waged a quiet war / Did you know it’s not the eighties any more? / I’ve got a hundred new distractions banging at my door » (Est-ce le grand art que vous espériez ? / Alors que ceux qui sont émotionnellement engourdis menaient une guerre tranquille / Saviez-vous que nous ne sommes plus dans les années 80 ? / J’ai une centaine de nouvelles distractions qui frappent à ma porte)…
Bon, ceci dit, on ne peut s’empêcher de garder un fond de nostalgie pour les débuts du groupe, et tout le monde se réjouira d’un rappel se terminant par les tueries que sont Our Velocity et Apply Some Pressure : si Maxïmo Park ne les jouent plus avec la folle énergie de leur jeunesse, ces deux titres restent de beaux exemples d’une sorte de nouveau classicisme rock qui n’est pas si courant que ça…
… Car finalement, ce groupe a tracé sa propre voie, à l’écart des modes et des styles éphémères, toujours à la recherche de la manière la plus pertinente de chanter le monde que nous vivons. Et de nous faire chanter avec lui.
Photos : Robert Gil (Maxïmo Park) et Eric Debarnot (Peaness)
Texte : Eric Debarnot
“Nature Always Wins” : Maxïmo Park retrouve l’énergie d’antan