Première vraie déception d’une discographie jusque-là des plus efficaces, le nouveau Two Door Cinema Club choisit une voie commerciale à outrance, et surtout de vouloir nous rendre heureux à tout prix.
On n’a jamais reproché jusqu’à présent la volonté évidente d’Alex Trimble et des Irlandais (du Nord) de Two Door Cinema Club de rechercher le succès populaire, et d’avoir – très logiquement de ce point de vue – abandonné rapidement leur indie rock élégant et mélodique qui les avait posés en concurrents crédibles de Franz Ferdinand, pour développer une pop électronique beaucoup plus consensuelle. C’est sans doute que chaque album possédait son lot de grandes chansons, de gimmicks sinon irrésistibles mais tout au moins accrocheurs pour qu’on leur pardonne ces ambitions commerciales. Et notre amour du groupe, soutenu par des prestations scéniques dynamiques et régulièrement convaincantes, n’a finalement que peu pâti d’albums souvent un peu trop sucrés et faciles.
Malheureusement, tout ça risque de changer avec ce Keep On Smiling, cinquième album du groupe, et certainement leur disque le moins convaincant depuis leurs débuts : peut-être est-ce d’ailleurs le parti-pris outrageusement positif / optimiste de l’album qui finit par irriter ? Ou bien, plus trivialement, le fait qu’on y trouve moins d’hymnes incontournables qu’à leur habitude, et qu’on s’y ennuie même régulièrement sur des chansons qui manquent franchement de caractère (un truc comme High, par exemple, est d’une banalité, voire d’une niaiserie désarmante…).
Il faut d’abord expliquer que Keep On Smiling se situe dans la ligne synth-pop de son prédécesseur, le très réussi False Alarm, mais avec une production abusant beaucoup plus de sonorités contemporaines pour son bien : la participation du producteur des Killers, Jacknife Lee est-elle à blâmer pour ces excès « pop 2022 » ? En tous cas la guitare incendiaire de Sam Halliday, qui raccroche ici un Little Piggy funky au passé du groupe, nous manque vraiment trop souvent pour que nous adhérions à ces choix commerciaux.
Encadré par deux instrumentaux un peu hors de propos (Messenger AD et Messenger HD), et avec une épilogue additionnelle intéressante mais abimée par les effets vocaux robotiques, Disappear, Keep On Smiling est surtout un disque trop long : réduit d’un bon quart d’heure, se concentrant sur ses meilleurs morceaux, il aurait fait meilleure figure dans la discographie lumineuse du groupe. Du côté des titres les plus convaincants, on connaît déjà le single très réussi qu’est Lucky, et on est ravi de découvrir ici un Wonderful Life excité et excitant, qui montre que Two Door Cinema Club savent encore écrire des hymnes, qui sonneront impeccablement sur scène. A l’inverse, la tentative sur un titre comme Feeling Strange de sonner comme des Talking Heads pop montre surtout l’écart entre les deux groupes, et le fait que Two Door Cinema Club a peu de chance de jamais devenir un groupe précurseur : qu’ils se content de nous ravir avec de jolies mélodies et une énergie suffisamment contagieuse, et ce sera très bien déjà…
On remarquera que la béatitude affichée par le groupe sur un album qui se veut donc avant tout souriant n’empêche pas l’amertume d’émerger sur une chanson comme Millionaire, avec son texte qui est sans doute le plus pertinent de tout l’album : « I will find / The ladder of sin / And when I get where I’m goin’ / I won’t ever quit / I’ll get higher / Climbing over you / Lower, lower / Nothing I won’t do » (Je trouverai / L’échelle du péché / Et quand j’arriverai là où je vais / Je n’abandonnerai jamais / Je monterai plus haut / Je grimperai sur toi / Plus bas, plus bas / Rien que je ne ferai pas).
Nous oserons donc suggérer à Alex Trimble de renoncer à ses rêves de richesse et de succès, et de regarder plutôt dans les yeux la Grande-Bretagne en crise de 2022, pour nous pondre un prochain album, qu’il soit rock ou synth-pop, qui n’essaie pas de nous faire passer des vessies pour des lanternes.
Eric Debarnot