Réapparition impromptue de Miraculous Mule, silencieux depuis 2017 et le brûlot blues-rock de Two Tonne Testimony : surprise, Michael J. Sheehy et ses complices nous proposent, sans trahir leur passé, un retour plein d’âme aux racines de la musique qu’ils aiment.
Si le nom de Michael J. Sheehy reste scandaleusement confidentiel en France, en dépit du talent conséquent de l’individu, il n’y a guère de risque à parier que celui de Miraculous Mule, son groupe de blues / gospel traditionnel heavy garage (enfin, on vient d’inventer ce mot, ça ne doit pas exister, mais c’est un peu sur le versant country-punk, pour ceux qui se souviennent de ce mouvement éphémère du siècle dernier), évoquera encore moins de choses. Pourtant, et croyez-nous sur parole ou vérifiez sur votre site de streaming favori, Miraculous Mule font une musique pleine de force, d’âme (soul, in English), de magie, le genre de truc à la fois évident, universel, et à peu près irrésistible pour qui a un cœur en ordre de marche et des jambes en état de danser.
O’Death, le premier – et très impressionnant – titre publié en avant-première de ce nouvel album du trio Miraculous Mule en a surpris plus d’un. Il y a la mise au rancard du Rock belliqueux comme forme d’expression fondamentale. Il y a ensuite cette voix féminine, qui est celle d’Alex Louise Petty, qui devient donc un quatrième membre complétant le groupe, et qui matérialise de manière remarquable – car cette voix, grave et riche, est belle – l’orientation de Old Bones, New Fires. On dira, pour simplifier, que Sheehy et sa bande optent de plus en plus pour un respect total de ces titres « traditionnels » qu’ils interprètent : foin de modernité, aucun besoin d’actualiser cette musique pour la marquer d’un sceau qui serait celui de Miraculous Mile, qui « ferait 2022 ». Pour animer ces « vieux os » d’un « nouveau feu », nul besoin de faire les malins, il suffit – mais c’est bien entendu beaucoup plus difficile – de les jouer comme on les ressent.
Old Bones, New Fire est le fruit de deux sessions d’enregistrement distincte, à 10 ans d’intervalle, sans que rien de différent ne soit réellement discernable, grâce au remarquable travail de production effectué par les musiciens eux-mêmes. Old Bones, New Fires est un album de retour vers le passé, non, pardon, vers la vérité de cette musique, de ce gospel, de ce blues, de ce folk primitif : ce n’est pas un album passéiste, au contraire. C’est un album « décalé » géographiquement, un album qui aurait dû être joué dans l’un de ces états du Sud des Etats-Unis où cette musique est née, plutôt que dans un Londres moderne où, a priori, les préoccupations – le Brexit et la montée de l’extrémisme, l’économie en temps de guerre en Europe, la menace non éteinte de la pandémie – sont toutes autres. Mais, depuis le temps, on a abandonné ce vieux concept réactionnaire qui veut qu’il faudrait être noir pour bien jouer le Blues, non ? Remember Elvis Presley (l’idole numéro 1 de Michael J. Sheehy) ? Ou qu’il faudrait être américain pour comprendre cette souffrance-là ? Remember Jagger et Richards ? Car cette musique nous parle de l’âme humaine, qui est la même, sur tous les continents, et à toutes les époques.
Alors oui, une bande de vieux punks londoniens peuvent jouer la musique d’une Amérique miséreuse du siècle dernier, avec une honnêteté et une vérité inattaquables. La preuve, s’il est encore besoin d’en fournir, est qu’un titre, un seul sur l’album, n’est pas une reprise, est signé Sheehy : We Get What We Deserve sonne parfaitement à sa place au milieu de ces perles extraites d’un répertoire classique, d’un autre âge.
D’un autre côté, n’effrayons pas les vieux fans du groupe, il n’y a pas non plus de rupture dans l’esprit de la musique entre cet album et ceux qui ont précédé : I Know I’ve Been Changed, le sublime titre d’introduction de ce nouvel album, pourrait figurer sans peine sur le furieux Two Tonne Testimony, son prédécesseur datant de 2017, et la similitude stylistique des pochettes indique de la part du groupe un souci de continuité, en dépit de la mise en retrait des guitares rock agressives…
On parle juste d’une exploration accrue de genres qui étaient jusque-là plus périphériques, en particulier la country : Nobody/Nothing a quelque chose de surnaturellement similaire à la relecture de la country music que les Stones nous avaient offerts sur leur Exile on Main Street (une sacrée référence, on le sait, mais la comparaison saute aux yeux, ou plutôt aux oreilles…).
On parle juste de laisser parler plus haut et plus clairement les aspects éternels d’une musique aussi vraie, aussi vitale ! Et si dans les notes de pochette, le groupe, après avoir cité leurs inspirateurs, des Staples Sisters à Sister Rosetta Tharpe, conclut en affirmant « ne pas être dignes de leur attacher les lacets », rectifions cette déclaration : c’est la majorité des groupes de rock actuels qui n’est pas digne de lacer les chaussures des musiciens de Miraculous Mule…
Eric Debarnot