Pour son premier film, Lola Quivoron fait le portrait d’une affranchie. Entre chronique sociale et presque polar, Rodeo mélange et s’approprie les genres avec aisance sans jamais donner l’impression de les relier artificiellement.
D’abord dégager la polémique autour du film, faire taire les rageux qui éructent pour la forme, ne cherchent à rien comprendre, n’ont même pas vu le film (seulement une bande-annonce trompeuse). Rodeo ne PARLE PAS de rodéo urbain (et en fait encore moins l’apologie), de ces rodéos sauvages qui dégénèrent avec les drames que l’on sait, mais de cross bitume. Lola Quivoron l’explique d’ailleurs très bien : « Le cross bitume consiste à piloter des moto-cross et des quads sur le bitume, et à réaliser des figures acrobatiques très techniques et très virtuoses en levant la roue avant. Cela n’a rien à voir avec cette pratique isolée, inconsciente et dangereuse qui se déroule dans les villes. Les passionnés de cross bitume, eux, s’entraînent sur des routes sans circulation, en dehors des zones habitées, souvent en plein milieu de la campagne ou en zone industrielle. C’est aussi un univers très familial, avec un esprit de groupe fort, de l’entraide et des codes très marqués ».
Il n’y a du reste qu’une seule scène de cross bitume, en début de film, et puis on n’y reviendra plus. Parce que le sujet est ailleurs. Rodeo parle d’autre chose tout en évoluant, en se construisant dans ce milieu-là. Rodeo parle d’une jeune femme qui rêve, qui cherche à s’émanciper pour de bon, de combines et de casses minables, d’emprise (d’un mari) et de hantise (d’un mort). Le point central du récit est évidemment de confronter Julia, mordue de moto, sorte d’amazone insaisissable et tout feu tout flamme, à cet environnement hyper viril qui d’abord la rejette, hyper standardisé dans sa représentation du masculin/féminin. Et de cette confrontation faire bouger les stéréotypes, s’échapper du cadre. Se trouver, même en refusant les limites.
Beau portrait d’une affranchie, chronique sociale, presque polar, Rodeo mélange et s’approprie les genres avec aisance sans jamais donner l’impression de les relier artificiellement, de ne pas savoir s’y prendre. Ça n’empêche pas le film de tirer un peu en longueur, de préférer parfois la routine d’un certain cinéma naturaliste tendance morose (on préfère quand le film fait des embardées romanesques, plus singulières, ou même fantastiques), et surtout de complètement rater sa fin avec ce twist forcé, inexplicable, et ces trucs qu’on a du mal à saisir (tiens, les casques ont été intervertis ? Tiens, la moto s’enflamme toute seule tout à coup, comme ça, tranquille ?). Rodeo se coltine à la fois une belle énergie et des défauts mastocs, avec au milieu la révélation Julie Ledru qui, elle, bouffe carrément l’écran.
Michaël Pigé