Mini-série non conventionnelle, et pas seulement à cause d’un casting (presque) entièrement noir et d’un héros affligé de la maladie d’Alzheimer, les Derniers Jours de Ptolemy Grey est une belle expérience, au centre de laquelle trône un Samuel L. Jackson magistral.
Si le mouvement #MeToo a fini par influencer le monde du spectacle, ce qui nous permet enfin de profiter d’une vraie diversité dans les fictions cinématographiques et télévisuelles, il y a une proportion de la population qui n’a toujours pas droit à l’image : hormis dans des rôles secondaires, servant la plupart du temps de prétexte à tirer des larmes ou à la rigueur à faire rire, le s « seniors », les représentants du quatrième âge apparaissent rarement à l’écran, en particulier à Hollywood. Un vieux, c’est honteux, c’est sale, ce n’est pas assez vendeur, pas assez « positif », pas assez « feel good »…
Le héros des Derniers Jours de Ptolemy Grey est noir, et il est âgé. Et il souffre d’Alzheimer ou d’une forme de « démence » similaire. Vivant dans un « milieu défavorisé », il est celui que tout le monde oublie, celui dont on aimerait bien qu’il disparaisse vite : terré seul comme un animal dans sa tanière nauséabonde, il ne survit que grâce à l’amitié que lui témoigne Reggie, un cousin qui s’occupe de lui. Le jour où Reggie est assassiné, c’est une adolescente dont personne ne veut, Robyn, qu’on envoie s’occuper de Ptolemy, mais le lien qui va se tisser entre eux va tout changer.
Les Derniers Jours de Ptolemy Grey n’est pas une histoire feelgood, positive, vendeuse. C’est une histoire pleine de bruit et de fureur, de cette haine et de cette violence qui ont imprégné l’enfance de « Pity ». L’homme qui l’a élevé, Coydog, et la femme qu’il a aimée, Sensia, peuplent tous deux l’existence hébétée de Ptolemy, et sont autant des repères que des malédictions pour cet esprit égaré. Un remède expérimental contre Alzheimer va permettre à Ptolemy de reprendre la maîtrise de son existence, de conduire un projet de vengeance, et de mettre ses affaires en ordre avant de disparaître définitivement. Ou pas…
C’est l’immense Samuel L. Jackson qui incarne Ptolemy, et il est crédible quel que soit l’état de son personnage, perdu dans ses souvenirs ou tranchant comme une lame acérée. La série ne pourrait probablement pas exister sans lui, même si l’intégralité du casting fait des merveilles. Un casting qui, justement, est entièrement noir, à l’exception – et c’est un joli pied de nez – de Walton Goggins, le seul blanc, à qui l’on a confié le rôle de l’inquiétant inventeur du médicament, c’est-à-dire de… Satan !
On doit le scénario, assez formidable, des Derniers Jours de Ptolemy Grey, à l’écrivain Walter Mosley : l’intelligence de cette histoire, c’est de ne nous offrir finalement aucune des consolations dont les fictions US raffolent. Aucune rédemption, aucune réconciliation, aucune punition divine pour les « méchants », et surtout, aucune révélation d’un sens quelconque à la vie difficile de Ptolemy. L’infinie solitude humaine y est dépeinte sans aucun artifice sentimentaliste, et le mal que nous nous faisons les uns aux autres n’est jamais revêtu des habituels oripeaux moraux ou religieux.
Car il n’y a pas de « happy end » à la vie humaine. C’est tout l’honneur des Derniers Jours de Ptolemy Grey de ne jamais chercher à nous faire croire le contraire.
Eric Debarnot