Improbable réussite sur un sujet impossible (comment vivre après avoir survécu à un attentat terroriste ?), Revoir Paris est en plus un portrait saisissant de justesse de notre capitale.
Il y a de prime abord quelque chose qui peut gêner dans Revoir Paris, le nouveau film d’Alice Winocour qui s’attaque à la question du possible retour à la vie, sinon à « la normale », des survivants des attentats terroristes du 13 novembre 2015 : pourquoi, se demande-t-on, avoir « inventé » un attentat fictif, dans une brasserie parisienne située dans le quartier de la Bourse, alors que le récit est clairement inspiré des événements du Bataclan ? Et ce d’autant que l’on sait que le frère de la réalisatrice était présent lui-même au Bataclan, en cette fatale soirée… Cette question turlupinera sans doute un moment le spectateur, avant que, au fur et à mesure que le film déroule sa passionnante réflexion sur les stratégies mises en place par les uns et les autres pour survivre à l’inimaginable, la logique de la démarche de Winocour se fasse claire : puisque le film nous dit combien il est impossible de se mettre à la place de nos amis, de nos parents qui ont vécu ce cauchemar, comment le film aurait-il l’audace de prétendre le faire lui-même ? D’où le recours à la fiction, même minimal (car on sent bien que, dans Revoir Paris, TOUT EST VRAI, de cette vérité humaine célébrée par Godard dans sa célèbre phrase, « la photographie, c’est la vérité, et le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde… »).
Revoir Paris est une merveille, qui évite tout pathos – on n’est pas dans un « biopic » à l’américaine, dieu merci ! – mais nous met les larmes aux yeux plus de fois que nous n’aimerions l’admettre. Ceci grâce à une mise en scène magistrale de sensibilité, de discrétion, mais aussi grâce à l’interprétation superlative de Virginie Efira, qui semble ici abandonner tous ses tics de (grande) actrice populaire, pour être Mia, et représenter avec dignité, mais sans se l’approprier en aucune manière, le chemin de croix vécu par des centaines de personnes après le 13 novembre. Faut-il souligner que nous sommes, là encore, à l’opposé d’une « performance » oscarisable ?
Ce qui ne veut pas dire que le film soit parfait – mais devait-il l’être, de toute manière ? Trop de musique au cours de scènes qui auraient bénéficié de silence, et puis ce scénario qui insiste quand même beaucoup sur l’amour comme mode de survie, et, après les faits, comme vecteur de récupération : même si la bienveillance est clairement une valeur à réévaluer et à défendre de nos jours, la foi en l’amour – foi en l’humanité ou foi dans le désir sexuel – a quelque chose de vaguement réducteur dans un film qui sait aussi bien, la plupart du temps, élever son propos, et surtout ne jamais le simplifier…
Par contre, s’il y a quelque chose de formidable, dans Revoir Paris, une intuition que l’on a envie de qualifier de « géniale », c’est bien cette idée de faire endosser à la ville le poids de l’horreur, comme celui de la beauté. Grâce à de nombreux plans et de plusieurs plongées magnifiques sur Paris, que l’on survole ou que l’on traverse en moto… et surtout à travers l’acceptation des abominations qui se jouent autour des conditions de vie affreuses des migrants, de leur exploitation décomplexée dans les métiers de la restauration par exemple, Revoir Paris, sans s’éloigner de son sujet, devient aussi le portrait d’une ville. Et c’est époustouflant.
PS : du fait de la reconstitution éprouvante d’une scène d’attentat, le film n’est probablement pas recommandé à ceux qui luttent encore comme les fantômes de la soirée du 13 novembre 2015.
Eric Debarnot