Après 5 ans d’attente, le gamin surdoué de Brooklyn, Joey Bada$$, revient avec un nouvel album et récupère instantanément la couronne tant convoitée de l’East Coast Rap. Un petit bijou de ce New Old School Rap dont il est le meilleur représentant, un voyage dans la grisaille New-yorkaise entre spleen, boucles Jazzy et ego trip nostalgique. Le retour de Bada$$ est assurément la réussite Rap de cette rentrée 2022. Écoutez !
Tu te souviens mon pote, il y a quelques années je te causais de la première mixtape d’un gamin de 17 piges qui refilait le barreau à un Rap East Coast en somnolence prolongée. Une sorte de madeleine de Proust en baggy, gavée de samples Jazzy et de réminiscences urbaines made in New-York.
Le skeud 1999 vient donc de fêter ses dix ans. Le gamin de 17 piges et devenu un homme de 27 ans, et vient nous livrer son troisième album (après B4.DA.$$ et All-Amerikkkan Badass en 2017). 2000, après quelques retards dus à des problèmes d’autorisation – le disque était initialement prévu pour le 17 juin, 10 ans quasi-jour pour jour avec la sortie de 1999 – est enfin disponible aux oreilles gourmandes des amateurs de New Old School Rap.
Car c’est à une véritable suite à laquelle nous convie Joey Bada$$. Un retour aux sources dans les rues de Brooklyn, une nouvelle promenade dans le quartier de Flatbush ou dans le mythique quartier de Bedford-Stuyvesant en compagnie des glorieux anciens: Jay-Z ou encore de la lourde carcasse du fantôme du Big Notorious. Ces dernières années Joey, insensiblement, s’est éloigné de sa ville natale. Les lumières de la côte Ouest, sa douceur de vivre, ses nombreuses et juteuses opportunités professionnelles (il a notamment interprété le rappeur Inspektah Deck dans la série Wu-Tang : An American Saga sur la plateforme Hulu ou encore un petit rôle dans la série Mr. Robot.). Cette West Coast pleine de palmiers, de limousines rutilantes, de fric exposé et de big booty huilés comme des donuts bon marché qui lui a fait les yeux doux semblait avoir conquis les rêves de gloire de cet -encore- jeune homme. Hollywood et son rêve de carton-pâte avait endormi quelque peu la révolte intrinsèque du New-yorkais.
Depuis 2017 et le très engagé All-Amerikkkan Badass, Joey – hormis quelques feats avec Feu XXX Tentacion ou Westside Gunn et une mixtape avec son collectif Pro Era – avait délaissé le Rap Game et se la coulait douce au son d’une G-Funk beaucoup trop smooth pour les oreilles râpeuses, éraillées, d’un gamin du ghetto de la Big Apple.
Mais revoilà le surdoué de l’Eastside de retour aux affaires.
Après avoir fait le tour des States et collaboré avec la crème du peuh-ra Ricain, après avoir investi les genres : du Rap West Coast avec Kendrick Lamar ou Schoolboy Q, jusqu’au Dirty South cher à Ludacris, le gamin de Brooklyn retourne dans ses pénates avec un moral d’acier, une envie retrouvée et une créativité qui ne l’a – pour l’instant – jamais quitté.
C’est le souffle froid des rues de New York, ce souffle vicié mêlant relents d’hydrocarbures et effluves graisseuses de Hot Dogs fumants que Joey vient retrouver. Des retrouvailles tant attendues avec ce New York mélancolique, cette Big Apple trop mûre, un peu flétrie mais au goût toujours aussi inimitable… et cette suite, cette poursuite, dix ans après, de ce 1999 nostalgique. Cette nostalgie d’un Rap quasiment pur, expurgé des excès de vocodeur, de ces plages interminables de RnB larmoyant ou de ce style bling-bling contrefait. Retrouver l’essence même de cet ego trip tellement New Yorkais craché comme il vient sur un Boom bap délicieusement suranné.
C’est de cette essence là que Joey Badass a imbibé son 2000, qu’il en a allumé la mèche et l’a balancé joyeusement dans le Rap Game de 2022.
The Baddest ouvre l’album et signe – main dans la main avec Diddy – le retour de l’enfant béni dans la fameuse « City that never sleeps… ». Les marqueurs du style sautent déjà aux oreilles, le Rap de la côte Est et sa matrice qu’est New York emplissent ton horizon, t’attrapent par le col et te balance à grands coups de gimmicks Jazzy, de fragrances Soul capiteuses et de Boom Bap métronomiques, les bases du genre, ces racines si profondément ancrées dans le béton New yorkais. Un Can you say New York City ? qui retentit sur un sample de piano Jazz, presque nu, annonce les retrouvailles émouvantes avec sa ville natale.
Au fil de l’écoute et de ce voyage dans l’âme d’une ville, d’un style et d’une psyché se dégage, en filigrane, par petite touches, une mélancolie urbaine comme accrochée à ces buildings de verre, à ces grands murs de briques rouges. Where I Belong s’ouvre comme le livre de souvenirs du jeune Joey, une virée dans la Big Apple des early 00’s, au son plaintif de quelques notes de ehru (ce violon Chinois si particulier, si douloureux).
Le skeud malgré quelques morceaux plus enlevés (Make Me Feel), plus complexes (Zipcodes), plus construits (Brand New 911) ne quittera pas ce mood nostalgique, cette ambiance désenchantée. Même les titres construits pour la gagne n’échapperont pas à ce spleen si NewYorkais. Cruise Control petite douceur RnB, fabriquée pour le plus grand nombre, subit également cette mélancolie. C’est ce Jazz poisseux des cabarets enfumés d’Harlem qui imprègne, malgré tout, malgré les efforts d’un Joey dépassé, cannibalisé par sa propre ville, l’ambiance de ce disque.
On terminera ce voyage, cet ego trip vertical planté au milieu des tours, des buildings, de toutes ces choses qui nous dépassent, qui nous étouffent et nous rendent encore plus petit que ce qu’on est, avec les splendides Survivors Guilt et Written InThe Stars. Des rêveries rappées où les réflexions affleurent, remontent à la surface; sur cette carrière qu’il construit au fil de ses nombreux projets, cette célébrité toxique qui l’attire autant qu’elle l’effraie, ce reflet dans le miroir médiatique qu’il n’arrive pas à dompter et autres contemplations urbaines entre spleen, révolte et humour, toute cette matière vient nourrir un album qui s’impose naturellement comme le gros morceau Rap de l’an 22… Et à coup sûr un futur classique du genre.
Ce genre né entre le Queens et le Bronx, Brooklyn et Staten Island, Bada$$ vient de lui rendre la monnaie de sa pièce, l’hommage splendide du fils prodigue à la mère nourricière.
Badass, Motherfucker !
Renaud ZBN