Les oeuvres de Sally Rooney sont tendance : après la surprise émouvante de Normal People, très remarquée récemment à l’écran comme dans les librairies, la même équipe a décidé s’adapter son premier roman. Même univers, mêmes types de personnages, pour un traitement un peu différent. Et pour quel résultat ?
A nouveau des prémices de tourments amoureux, à nouveau des jeunes gens qui s’affrontent au monde des passions inavouées ou des différences sociales excluantes, à nouveau un environnement étudiant, Sally Rooney semble s’installer dans un cadre précis et cohérent pour son début d’oeuvre littéraire, où la psychologie de ses êtres en questionnement semble être la priorité de l’enjeu littéraire, autour de marivaudages contemporains souvent dramatiques et émouvants, avec des détails très contemporains (sexualité, moeurs) qui dynamite un contour parfois très classique-romantique.
Conversations with Friends ne déroge pas vraiment à cette règle, narrant deux amies ex-amantes étudiantes qui se connaissent depuis le lycée et dont le sexe et la poésie les ont réunies et les font encore rester proches. Elles rencontrent une autrice qu’elles adorent, une amitié quelque peu ambigüe en découle, jusqu’à développer un quadrilatère aussi amical qu’amoureux avec le mari de l’autrice qui vient brouiller les pistes et troubler une des jeunes femmes en contrôle permanent avec ses émotions et ses désirs. Des vacances ensemble vont à la fois précipiter les choses et les envenimer… Rien de nouveau ni d’original sous le soleil du scénario, les séries et films autour de ce thème étant légion ; par contre, le traitement à la fois romanesque et distancié des créateurs intrigue et passionne, notamment dans sa première partie. On retrouve même l’empreinte familière de la précédente série dans les épisodes du début qui campent les protagonistes, leurs lieux, leurs vies, avec cette oeil particulier qui donne tout sur un détail, un regard, un mot. Pudeur des sentiments avec pudeur de l’image expressive.
Hélas, c’est un peu de courte durée ici, la série préférant sur sa seconde partie rester concentrée sur le devenir des histoires du quatuor (à la fin, on s’en fiche un peu à vrai dire…) plutôt que de continuer à s’attarder sur les personnages, leurs fêlures, leurs actes tout en non-dits ou silences… certains des actrices / acteurs n’aident pas, de plus, en se contentant d’interpréter de manière plutôt insipide des rôles qui demandaient tellement de vibrations. La partition n’étant pas évidente malgré la prétendue banalité du personnage, elle nécessitait une interprétation parfaite, ce qui n’est pas toujours le cas… Toujours est-il que l’on ne peut bouder une série qui évite le pathos pour rentrer sans tabou ni préciosité dans l’intimité de ses personnages. A cet égard, les scènes de sexe sont un peu plus frontales – et répétitives – que sur l’autre production, et le final de la saison propose une vision sincère et réussie d’une maladie peu envisagée sur écran, et relativement tue : l’endométriose (maladie qui empêche in fine la fertilité). Ce sujet va devenir la plaque tournante bienvenue de la fin de l’intrigue, qui voyait jusque-là des échanges un peu trop bavards et stériles pour ne pas voir poindre l’ennui…
Résultat mitigé donc : les créateurs de la série n’arrivent pas vraiment à atteindre ici le summum de grâce et de fragilité romantique qu’était Normal People et son couple attachant. On retiendra toutefois la justesse des dialogues et des situations, une magnifique maison de vacances croate, des rôles féminins réussis et une vraie place donnée à des sujets peu traités d’habitude. C’est déjà pas mal, me direz-vous…
Jean-françois Lahorgue