Dans un Trabendo littéralement tropical, en effet, les forcenés de Tropical Fuck Storm ont montré ce qu’était livrer un set intense. Tout le monde en est ressorti essoré physiquement, mais tellement heureux !
Tropical Fuck Storm, grand groupe australien, le plus grand peut-être même, en dépit de la concurrence… ne bénéficie malheureusement pas en France de la réputation qu’il mérite : le Trabendo est sans doute un peu grand pour eux, et il sera loin d’être sold out ce soir. Qu’importe, tous les gens présents sont ravis d’être là… Tous les gens ? Le public mettra du temps à entrer dans la salle, il est sans aucun doute plus sympathique de boire des bières dehors, dans la chaleur du soir de ce drôle d’été indien. Cela nous permet quand même d’échanger tranquillement devant la scène avec Antuan, un musicien bosniaque fan de TPS, qui nous dit le plus grand bien du récent concert du groupe à Amsterdam… Toujours est-il que nous sommes moins d’une vingtaine dans la salle… jusqu’à ce que Party Dozen entrent en scène, signal pour les retardataires qu’il est temps d’abandonner la terrasse.
20h00 : Le duo australien Party Dozen, c’est Jonathan Boulet à la batterie et Kirsty Tickle au saxo, mais il y aussi des guitares pré-enregistrées, histoire d’ajouter du volume à la musique. Bien qu’il n’y ait pas à proprement parler de vocaux, Kristy crie de temps en temps à l’intérieur de son sax (sa voix est donc relayée par le micro de l’instrument), ce qui est quand même assez cool à voir. Cette technique de chant exceptée, la musique de Party Dozen n’est pas aussi expérimentale qu’on pouvait le pressentir : des riffs faciles pour dodeliner de la tête, voire pour headbanguer, des passages plus free jazz, une atmosphère généralement psyché-festive… On admire la virtuosité du batteur, et on apprécie une montée en puissance au fil des plus de 40 minutes de set, avec seulement une pause plus « moody »… Il reste que cette musique, fruit d’une démarche inhabituelle, semble curieusement manquer de profondeur, ou plus exactement, de substance, et qu’on a du mal à se passionner. Heureusement, les deux musiciens sourient beaucoup, entre eux mais aussi au public, ce qui maintiendra tout le set une belle ambiance, amicale et sans prétention.
21h10 : Avec Tropical Fuck Storm, c’est une tout autre atmosphère qui s’installe, dès l’arrivée du groupe sur scène. Trois filles au look rock’n’roll assumé, et un Gareth Liddiard pieds nus qui a plus l’air d’un poète SDF que d’autre chose : voilà un groupe qui crée immédiatement une image forte, un mélange explosif de détermination et d’énergie brouillonne. Le public est à fond dès les premiers accords, et même si l’on ne saurait qualifier TPS de groupe punk et qu’il n’est pas évident de pogoter sur la plupart de leurs morceaux souvent déstructurés, l’intensité de la réaction des spectateurs sera forte – pour quelques-uns, les plus pénibles, la consommation d’alcool, voire d’autres substances, rendra même leur comportement difficilement acceptable…
Intensité, voilà le mot qui vient immédiatement à l’esprit pour décrire un set de TPS : c’est Braindrops qui ouvre le bal, dans une semi-obscurité qui perdurera la totalité de la soirée. Et, une fois le morceau lancé par les deux guitares stridentes de Gareth et Erica, qui dialoguent et construisent une sorte d’édifice bancal mais néanmoins accueillant, le chant de Gareth monte très vite dans l’émotion, et vous saisit à la gorge. Ouaouh, que c’est puissant ! Ce mélange de sons chaotiques, de violence, et de vocaux intenses, quasi torturés, ce n’est vraiment pas quelque chose que l’on voit, que l’on entend tous les jours… Et si les albums de TPS sont superbes, il faut admettre que sur scène, tout cela prend une autre dimension…
Gareth est concentré sur son chant, extatique devant son micro, et le reste du temps, il s’affaire sur son rack de pédales : seul moment de communication avec le public, il renversera sa canette de bière sur nous, au premier rang, merci Gareth, c’était cool de sentir la bière toute la soirée ensuite ! C’est Erica qui est clairement la plus démonstrative, relançant en permanence l’excitation, et des spectateurs et des autres musiciens : élégante furie rock’n’rollienne, elle attire tous les regards, sans même mentionner son très beau jeu de guitare ! Fiona est un peu plus discrète à la basse (mais n’est-ce pas une qualité classique chez les bassistes ?), tandis que Lauren abat un boulot dantesque derrière ses fûts, en dépit de la température à l’intérieur du Trabendo, plus élevée qu’à l’habitude.
Ce qui impressionne beaucoup avec TPS, c’est que le niveau d’intensité ne semble jamais baisser d’un morceau à l’autre… et peut-être d’ailleurs que, plutôt qu’un problème dans la climatisation du Trabendo, c’est là la source de la chaleur dans la salle : aussi bien le groupe que les spectateurs, nous sommes tous en permanence près de notre point d’ébullition. En combinant une haute teneur émotionnelle (on a eu les larmes aux yeux, deux ou trois fois pendant les 90 minutes du concert !) avec un niveau de chaos sonore très élevé aussi, avec des chansons souvent magnifiques, avec des « duels de guitare » (terme inapproprié, disons que ça peut rappeler les guitares de chez Television, mais en version dissonante) ébouriffants, TPS se rapproche d’une certaine « perfection scénique ». A certains moments, bien que la musique jouée soit bien différente, on a même pensé qu’on n’était pas si loin du niveau du Nick Cave and the Bad Seeds des années 80-90 !
Si l’on a le droit d’exprimer une première réserve sur le concert, c’est bien la setlist qui ignore largement le dernier album, Deep States, pour se concentrer principalement sur le premier, A Laughing Death in Meatspace, frustrant nos attentes. Heureusement, nous ne pouvons que nous réjouir des deux reprises au programme, celle du Ann des Stooges, avec son riff bien lourd, et surtout celle, plus improbable, du Staying Alive des Bee Gees, dans une version qui doit être la meilleure que nous ayons jamais entendue !
Seconde réserve, un rappel trop long, avec un break interminable pendant lequel Gareth joue avec ses pédales pendant que nous nous ennuyons poliment. On ne peut pas s’empêcher de penser que le set aurait été parfait sans ce maudit rappel, qui en plus, « n’explose » pas à la fin comme il le devrait : Gareth et Lauren semblent tous deux complètement rincés physiquement (nous aussi, d’ailleurs…), et ces dix dernières minutes rajoutées – peut-être non planifiées ? – ont poussé TPS proche de leurs limites.
C’est un grand concert que Tropical Fuck Storm nous ont offert au Trabendo, qui nous laisse seulement frustrés devant le fait qu’un tel groupe n’arrive pas à atteindre une popularité plus grande… En tous cas, ils peuvent compter sur chaque personne présente ce soir pour diffuser la bonne parole !
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot
Tropical Fuck Storm – Deep States : introspection inconfortable et beauté tremblante