Troisième album pour les brillants Néo-zélandais de The Beths, Expert in a Dying Field frôle la perfection et réjouira tous ceux qui aiment les paroles acérées, les mélodies qui touchent au cœur et les guitares bruyantes.
Expert in a Dying Field (ce titre !) est déjà le troisième album de The Beths, un groupe de power pop basé à Auckland, en Nouvelle Zélande, et qui n’a pas encore suffisamment parler de lui en France. Comme si cette incroyable vitalité de la scène néo-zélandaise, surtout en matière de pop music « classique » (rien à voir avec ce qu’on appelle « pop » dans la variété contemporaine), qui ne cesse pas de durer depuis la fin des années 80, ne trouvait aucun écho dans le public Rock en France, ce public pourtant réputé pour son bon goût en matière de mélodies sophistiquées. Mais cette indifférence risque bien d’être de l’histoire ancienne grâce à ce nouveau disque, le plus personnel, le plus émotionnel aussi, de l’aveu même du groupe… Un album dont la fabrication, comme beaucoup d’autres, a été retardée de long mois du fait du confinement.
« Can we erase our history? / Is it as easy as this? / Plausible deniability / I swear I’ve never heard of it / And I can close the door on us / But the room still exists / And I know you’re in it » (Pouvons-nous effacer notre histoire ? / Est-ce aussi simple que cela ? / Le déni plausible / Je jure que je n’ai jamais entendu parler de ce concept / Et je peux refermer la porte sur nous / Mais la pièce existe toujours / Et je sais que tu es dedans) sont les premiers mots de Expert in a Dying Field, la première chanson de l’album éponyme : le grand thème du disque est introduit d’emblée, on va se pencher ensemble sur un cas grave de dépression post-rupture. On va explorer sous tous les angles la souffrance, les regrets, les doutes, les colères, tout ce qui se passe APRES. Et il faut expliquer d’emblée que l’une des grandes forces de The Beths, c’est l’intelligence des textes d’Elizabeth Stokes, son talent pour trouver les mots justes, les expressions qui font mouche, ce genre de don qui ont fait dire qu’une nouvelle grande « parolière » (écrivaine) du Rock était née. L’astuce étant évidemment de mêler ça, pour le dissimuler aussi, avec des mélodies sucrées et accrocheuses, voire, régulièrement, des guitares agressives sur de belles accélérations punk…
Car, et cela décevra sans doute les amateurs des débuts du groupe, plus teigneux, mais la musique de The Beths ralentit ici, prend de l’ampleur, de la complexité ici… et murit peut-être aussi (ce qui a d’ailleurs tout de l’effet « post-rupture »). Et n’est-ce pas ce qu’on attend d’un troisième album ? Ce fameux changement de niveau, cette ouverture sur d’autres styles, sur d’autres sujets, que les groupes qui vont durer réussissent généralement pour se reprendre, suite à un second disque qui avait déçu après l’excitation initiale de la découverte… Bon, on a l’impression de parler ici de parcours codifié, mais c’est en tout cas une logique qui fonctionne parfaitement avec The Beths.
Pas d’inquiétude ! Il n’y a en fait qu’une seule chanson lente parmi les douze que compte l’album : il s’agit de 2am, la conclusion remplie de superbes harmonies vocales qui, sous la forme d’un crescendo, interroge la pertinence de garder encore l’espoir que tout ne soit pas fini : « We were young / We were cruel and mistaken / And I know it more with every passing day / Though it hurts / I still love you the same » (Nous étions jeunes / Nous étions cruels et nous avions tort / Et je le sais plus à chaque jour qui passe / Même si ça fait mal / Je t’aime toujours de la même façon). Et, en face, il y a deux punk rockers efficaces : le bruyant Silence Is Golden, mais surtout I Told You That I Was Afraid, l’une des plus jolies réussites du disque, avec son refrain qu’on a hâte de chanter tous ensemble, en sueur, au milieu d’un moshpit (« I don’t know what I’m getting up for / (I told you that I was afraid) / One more year, then I’ll look at the score » – Je ne sais pas pourquoi je me lève / (je t’ai dit que j’avais peur) / Encore un an, après je compterai les points).
Sinon, comme l’indique l’étiquette « power pop », il s’agit d’aligner des mélodies bienveillantes sur des guitares bruyantes, et c’est à peu près le programme sur la totalité de l’album… Ce qui peut conférer à première vue à Expert in a Dying Field une certaine uniformité de ton : ce n’est bien sûr qu’une apparence, et la barrière à franchir pour aimer un disque d’une telle richesse. Dès la troisième écoute, la qualité des mélodies s’impose, et l’album devient de plus en plus addictif, menaçant même de rejoindre à terme les classiques du genre.
En maitrisant comme peu de groupes de 2022, la science exacte de la justesse vocale, des gimmicks soniques et de la gestion des émotions, en s’appuyant sur une production parfaitement appropriée qui leur permet de conjuguer des atmosphères rêveuses avec des montées en puissance d’une parfaite efficacité, The Beths sont décidément de vrais experts : on espère juste que la chanson power pop n’est pas un domaine en train de disparaître !
Eric Debarnot