Isadora est un grand grand roman sur la douleur, avec de l’humour noir et énormément de poésie. Écrit dans une langue superbe, excessivement sophistiquée. Un plaisir intense qui dure 550 pages. Amelia Gray se révèle vraiment comme une très grande écrivaine.
Vous aimez particulièrement la danse (ni moderne, ni classique) ? Isadora Duncan est un personnage qui vous fascine ? Les biographies sont un genre littéraire qui vous passionne ? Oui ? Non ? En fait, peu importe. Cet Isadora, qui nous est présenté comme un roman biographique n’est guère une biographie et bien plus un roman. Un roman qui s’apprécie indépendamment du fait que son personnage central est l’une des plus grandes et inventives danseuses de tous les temps. Isadora s’apprécie au-delà de son thème. Isadora est tout simplement un grand, grand roman. Si vous aimez la littérature, alors Isadora est pour vous. Impossible de ne pas se laisser emporter, baigner, déborder par la force de l’écriture d’Amelia Gray.
Le roman commence en avril 1913. Isadora Duncan est déjà une danseuse reconnue et admirée. Ella deux enfants : Deirdre, qu’elle a eu avec un décorateur de théâtre Gordon « Ted » Craig, et Patrick, qu’elle a eu avec Paris Singer, un des héritiers de l’inventeur de la machine à coudre, Isaac Singer. Le 19 avril, Deirdre et Patrick, ainsi que leur gouvernante, meurent dans un accident de voiture aussi dramatique que stupide. La vie d’Isadora Duncan est, on s’en doute, totalement bouleversée. La douleur est immense. Comment vivre avec ? Comment danser avec cette douleur ? Est-ce encore possible ? La douleur d’une mère, mais celle d’un père – Paris Singer, en l’occurrence, est très présent dans le livre, au moins au début. Et comment les autres – en particulier Elisabeth, sa sœur, aussi très présente – subissent, supportent, acceptent cette douleur. C’est tout cela raconte Amelia Gray dans Isadora. Isadora est donc un livre sur la douleur et sur la capacité à y faire face. La douleur immense de la mère – et ses délires mystico-poétiques – et sa volonté de continuer à vivre dans cette douleur. La douleur, plus froide et maitrisée, d’un des pères. La douleur empreinte de jalousie de la sœur.
De manière tout à fait intéressante, le roman s’étale sur une période (relativement) brève de la vie d’Isadora Duncan. Mais le temps ne compte pas vraiment ici. Rien n’étant daté, on perd rapidement la notion d’une quelconque chronologie. On a très rapidement l’impression d’être en dehors du monde également, même si tout ce qui se passe a bel et bien lieu dans des espaces physiques. Mais Isadora Duncan n’est jamais vraiment dans le monde physique où se trouvent les autres. Même la danse est une expérience physique ; et même si Isadora Duncan a eu des relations physiques avec un certain nombre d’hommes (et, peut-être même une femme, Eleonora Duse, à ce que semble suggérer Amelia Gray), elle est souvent entre le rêve et la réalité. C’est ce qui la distingue de la plupart des autres personnages qui sont beaucoup plus ancrés dans le réel.
Isadora est fascinant, curieusement addictif, aussi en grande partie à cause du talent littéraire d’Amelia Gray. Ce qui avait fait la force de son précédent roman, THREATS (Menaces, déjà publié aux éditions de l’Ogre en 2019) est encore plus flagrant ici. Isadora est un roman dans lequel on recule au fur et à mesure qu’on avance, tant on prend du temps à lire et relire ces phrases… Lire Isadora est tout simplement un moment de jouissance intense. Un plaisir incroyable. Un plaisir qui dure et qu’on n’a pas envie de voir s’arrêter. Isadora est le genre de roman qu’on peut poser sur sa table de nuit, garder des années là, en lire quelques pages régulièrement pour sa rappeler ce qu’est la belle langue.
Alain Marciano