C’est la série française de la rentrée (voire de l’année…) : Bruno Merle et olivier Abbou dynamitent le genre du « serial killer » et proposent six épisodes d’une force et d’une fascination assez peu vues jusqu’ici. Notamment grâce à une mise en scène très stylisée et une interprétation hors-pair du casting.
D’emblée, le concept même des Papillons Noirs déroute : la mini-série, produite par Arte en collaboration avec Netflix, s’est associée aux éditions du Masque qui publient un polar au même titre, avec les confidences d’Albert, personnage principal de la série qui elle-même débute par ses confessions qu’un écrivain, Mody, mettra par écrit pour son prochain ouvrage. Ouvrage qui paraît, donc, en librairie sous la plume d’un certain Mody… Drôle de concept pour un sujet à la fois écrit et visuel, et un télescopage de mémoires violentes d’un tueur en série entre le livre et l’écran. Et, de fait, une frontière ténue entre véracité et imagination troublante, frontière qui reste le moteur principal et le squelette narratif génial de ces fameux Papillons Noirs.
Au départ de l’intrigue, somme toute roborative : un écrivain de polar à succès (enfin, pour son premier…) sèche pour la suite de son oeuvre et répond à une proposition d’écriture de mémoires d’Albert, septuagénaire reclus dans sa ferme nordiste isolée. Le vieil homme est suffisamment intrigant et le job lucratif pour qu’Adrien accepte. Au fil de ses venues pour restituer le passé de son confident, la série prend (je vais très peu spoiler, pas d’inquiétude) une tournure inattendue avec des révélations impressionnantes, et qui mettront l’écrivain face à plusieurs dilemmes ou interrogations : que faire face au témoignage de ce tueur en série et de ses péripéties avec sa copine Solange ? Quelle part de vrai ? de romancé à l’hémoglobine ? de fantasmé ? Et en parallèle de ces face-à-face, un flic ré-ouvre un dossier classé sur des meurtres sauvages à la même époque que les descriptions d’Albert… coïncidence ?
Et ce qui aurait pu être un énième ressort lourd dans les séries (les flash-backs nombreux pour comprendre le présent grâce au passé) devient ici nécessaire et brillant : les mémoires d’Albert trouvent un écho visuel (mais dans la tête de qui ?) dans les scènes racontées qui sont montrées du coup, et le mot n’est pas assez fort pour évoquer le tour de force dans la réalisation de Merle et Abbou qui convoquent dans un maelström audio-visuel tous les procédés et techniques de réalisation et de montage des années 70 à nos jours. On virevolte malgré soi dans une frénésie sonore et rétinienne, mais qui pourtant nous interroge sans cesse sur ce que nous voyons – ou que nous craignons d’appréhender. Car l’autre force de cette série vraiment impressionnante, c’est qu’elle se renouvelle constamment, en modifiant simplement les points de vue, les regards ou les twists scénaristiques, proposant donc au téléspectateur de n’être jamais sur une zone de confort – de ce qu’il voit, comprend ou imagine.
Les Papillons Noirs nous envoie donc très loin, et en six heures parfaitement orchestrées par les réalisateurs, et brillamment interprétés – Niels Arestrup toujours aussi impressionnant face à un Nicolas Duvauchelle prenant, les impeccables Alice Belaïdi, Brigitte Catillon et Sami Bouajila, et le nouveau tandem inoubliable Axel Granberger et Alyzée Costes, sorte de Bonnie et Clyde en 4L arpentant une France du Sud écrasée de chaleur et de mâles assoiffés de sexe plus ou moins consenti. Jusqu’à la dernière image post-générique, la série saura asseoir sa maîtrise totale du ressort dramatique du thriller romantique, et s’impose en un tour de force visuel très rafraîchissant dans ce genre codifié et qui manque parfois d’un vrai souffle. A voir absolument, même s’il faut un peu vous accrocher !
Jean-françois Lahorgue