Très belle réussite que Billy Summers, le nouveau Stephen King, qui s’affranchit du fantastique et surprendra plus d’un fidèle lecteur… même s’il contient toutes les préoccupations habituelles de son auteur. On passe de peu à côté d’un nouveau chef d’œuvre…
Depuis le temps qu’il tourne autour du thriller, en lui ajoutant quand même des éléments surnaturels, il fallait bien que Stephen King – qui cite désormais Zola et en particulier Thérèse Raquin comme modèle – nous offre un livre qui n’ait rien de fantastique : on nous rétorquera sans doute qu’il y a dans Billy Summers une référence à l’inoubliable Hôtel Overlook, et même un drôle de tableau accroché au mur d’une cabane dans la montagne, mais on parlera au mieux d’effet de signature.
Stephen King, qui sait désormais clairement où il excelle, a donc écrit cette fois un pur thriller : l’histoire d’un tueur à gages et tireur d’élite forcé, pour exécuter un juteux contrat, de vivre incognito plusieurs mois dans une petite ville américaine, dans laquelle il doit s’intégrer de la manière la plus anonyme possible… Ce qui permet à l’auteur de faire ce qu’il sait le mieux faire, chanter les beautés de l’Amérique prolétaire et de la vie des gens ordinaires (attention, pas l’Amérique trumpienne, que King vomit toujours avec autant de rage, à plusieurs reprises ici…). En y ajoutant, car on reste quand même en terrain connu, ses très habituelles mais toujours passionnantes réflexions sur la création littéraire et les défis de l’écriture. Le résultat, sans que ce soit une véritable surprise, est que la première moitié de Billy Summers est sans doute ce que King a écrit de mieux depuis plusieurs décennies… jusqu’à ce que le fameux « contrat » soit exécuté et que démarre ce qui est quasiment une seconde histoire.
En essayant d’échapper à d’autres tueurs lancés à sa poursuite, et de comprendre ce qui a pu se passer pour que son « contrat » se transforme en piège mortel se refermant sur lui, Billy doit quitter le monde ordinaire et confortable au sein duquel il s’est construit une (double) vie : accompagné par une jeune victime d’un viol collectif, qu’il a recueillie, Billy se lance sur les routes américaines, à la recherche de la vérité, et finalement d’une vengeance qu’il prépare depuis son adolescence contre « les hommes qui n’aiment pas les femmes », qui les harcèlent, les violent, les tuent même.
Cette seconde partie est plus convenue, et sans doute moins crédible : la révélation de ce qui se dissimulait derrière le « contrat » de Billy est politiquement pertinente, mais se déroule avec une artificialité qui gâche l’effet de surprise désiré, soit une maladresse narrative surprenante de la part d’un orfèvre du storytelling comme King ; les deux assauts menés par Billy contre les propriétés bien gardées (ou pas) de ses ennemis semblent vraiment trop faciles (King s’en dédouane d’ailleurs en nous accusant gentiment, nous, ses lecteurs, d’être conditionnés en la matière par la surenchère pyrotechnique hollywoodienne !) ; et la conclusion, en dépit d’un jeu un peu « méta » sur la narration, était totalement prévisible, depuis les premiers pages du livre.
On passe donc à côté du véritable chef d’œuvre que l’on pressentait pourtant, mais pas à côté d’un autre excellent roman de Stephen King, un livre que l’on n’arrive pas à poser une fois qu’on l’a ouvert. Qui traduit superbement les indignations de son auteur devant le mal qui est fait aux femmes, et devant le Mal que représente l’alliance du pouvoir de l’argent avec les idées d’extrême droite. Qui nous offre de superbes chapitres sur l’engagement des soldats US dans la stupide guerre en Irak (un peu du côté de l’American Sniper d’Eastwood, mais avec un héros moins réactionnaire) …
… et qui se clôt sur la superbe image d’une transmission possible entre deux générations de l’art et du bonheur d’écrire.
PS : Espérons en outre que la lecture de Billy Summers encouragera au moins quelques jeunes américains à mettre un temps de côté leurs comic books de super-héros (clairement associés par King, dans la première partie de son livre, à un symptôme de débilité !) et à ouvrir un livre des Rougon-Macquart !
Eric Debarnot