L’événement musical de la semaine (du mois ? de l’automne ? de l’année ?…) à Paris, c’est la « rétrospective The Divine Comedy », cinq soirées à la Cité de la Musique pour interpréter dix albums dans leur intégralité… On vous en raconte une, pas la plus évidente !
Cinq soirées « Retrospective The Divine Comedy« , dix albums, ce sont près de 120 chansons à (re)apprendre et à jouer avec un groupe de onze musiciens, y compris un quintette à cordes et cuivres. Les places sont assises et numérotées, le défi ayant été, à l’époque, d’essayer d’avoir accès aux meilleures : une partie importante du public est composée des fidèles de Neil Hannon, qui ne manqueraient pour rien au monde un passage à Paris de l’ex-Petit Prince de la grande Pop Music baroque et orchestrale, et ces fidèles sont là chaque soir ou presque. D’où une atmosphère recueillie – pas question de louper un soupir (ou une plaisanterie) de notre héros, une nuance de sa musique ! – mais également joyeuse : il y a dans cette belle affaire quelque chose d’un couronnement pour Neil Hannon.
Cette quatrième soirée de la rétrospective est différente des trois qui ont précédé : pas d’album considéré généralement comme essentiel cette fois ! Liberation, Promenade, Casanova, A Short Album About Love ont été couverts au cours des trois premiers concerts, et on a droit ce soir à Absent Friends, une réussite « classique » de l’avis des fans du groupe, mais un disque sans grand tube accrocheur, et à Victory for the Comic Muse, l’un des albums les plus bizarres, déséquilibrés et frustrants de Neil Hannon. C’est donc l’occasion pour « Neil et son orchestre » d’arrêter de surfer sur de grandes chansons consensuelles et de nous faire redécouvrir des titres moins évidents. Un défi ?
20h05 : … oui, un défi peut-être, parce que Neil ne paraît pas en très grande forme physique ce soir. Lui-même plaisante sur la fatigue qui le terrasse, sans même parler de la perspective d’avoir encore une cinquantaine de chansons à jouer sur les deux dernières soirées. Nos amis ayant assisté aux soirées précédentes nous jureront qu’il boira également beaucoup moins ce soir : il n’y aura guère qu’un grand toast au vin rouge porté à la mémoire des « amis absents », qui nous fait évidemment penser à l’indispensable Philippe qui n’est plus avec nous, et que Neil aura d’ailleurs honoré la veille…
L’autre petit « problème » du concept de rétrospective, c’est que tous les musiciens jouent sur partition (difficile de mémoriser autant de chansons !), et que Neil lui-même a sa tablette fixée devant lui pour les textes… soit des contraintes inhabituelles qui, ajoutées à la nervosité logique de jouer des morceaux qu’on maîtrise mal, font qu’on ne sentira pas autant que d’habitude ce sentiment de plaisir de jouer, mais aussi de se jouer de la musique. Moins de fantaisie, forcément, alors que l’on aime tellement la fantaisie, justement, chez Divine Comedy.
Et de fait, l’exécution de l’album Absent Friends aura été belle, mais jamais vraiment exceptionnelle : et si nombre d’entre nous auront versé une larme sur le formidable Our Mutual Friend, c’est probablement plus parce qu’il s’agit d’une immense, d’une géniale composition que parce que son interprétation ce soir était extraordinaire… Leaving Today aura été par contre l’occasion de réaliser à nouveau une évidence un peu oubliée, combien – en particulier dans ses morceaux les plus tragiques – Neil Hannon doit à Peter Hammill : on s’est dit d’un coup que Leaving Today pourrait figurer telle quelle sur Over My Shoulder, l’un des meilleurs disques de Hammill, et qu’on n’y verrait que du feu ! Amusant aussi de retrouver le singulier Freedom Road, très inhabituellement « americana », qui prouve que Hannon pourrait aller vadrouiller avec succès sur d’autres territoires que les siens.
21h05 : Vingt minutes d’entracte avant d’attaquer le second disque, un break pour se dire aussi que, pour le moment, on est un peu en deçà de ce qu’on attendait.
21h25 : … un break qui a visiblement fait du bien à Neil, qui a rechargé ses batteries, et attaque Victory for the Comic Muse avec un réjouissant To Die a Virgin, à la fois électrique et gai, qui nous permet de retrouver cette joie un peu absurde que génère The Divine Comedy quand Hannon lâche les rênes. Neil confesse qu’il trouve cet album complètement incohérent, qu’il ne comprend plus ce qu’il voulait faire à l’époque, même s’il se réjouit de dire que c’est le seul de ses albums ayant reçu un prix !
Cinq minutes plus tard, le totalement méconnu Diva Lady sonne impeccablement bien, et sera peut-être même le plus beau titre de la soirée : « J’ai longtemps détesté cette chanson, mais maintenant je me rends compte que ça sonne comme du Steely Dan ! », avoue Neil, visiblement réjoui d’avoir enfin trouvé le sens d’une chanson perdue. A Lady of a Certain Age, en version dénudée et acoustique, est merveilleuse, mais, ça c’est complètement habituel (peut-être le texte le plus touchant écrit par Neil…).
Sur Threesome, les trois pianistes jouant ensemble sur le même clavier nous offrent un spectacle réjouissant, dont on aimerait qu’il dure plus longtemps. Party Fears Two, la seule reprise à figurer sur un album de The Divine Comedy, est beaucoup plus convaincante que sur le disque, et nous rappelle que nous aimions The Associates.
La deuxième face de l’album, très faible, est plus difficile à transcender, mais au milieu de chansons plus médiocres, on adorera quand même le très beau The Plough : cette histoire – dont Hannon se moque désormais – d’une quête dickensienne passant par la banque, la religion et… la rébellion armée a une solennité et une théâtralité qui gagnent à être jouée en live. Une vraie (re)découverte.
Neil décide de terminer le set assis sur une chaise, et la conclusion assez morne de Snowball in Negative semble le laisser lui-même aussi indifférent que nous. Dommage que le respect de l’ordre des titres de l’album l’oblige à terminer ainsi ce second set qui s’est avéré finalement très réussi.
Tout le monde quitte son siège et court vers la scène pour les deux chansons rituelles du rappel : deux bombes – dont on ne pourra déplorer que l’évidence – Generation Sex et, comme toujours, Tonight We Fly.
Une courte dizaine de minutes à chanter tous ensemble en agitant les bras et en les tendant vers Neil, pour le remercier de toute cette beauté qu’il nous offre, de tous les risques qu’il prend pour nous, de toute cette générosité qu’il dissimule derrière la politesse de l’humour britannique.
Texte et photos : Eric Debarnot