Toute la misère des noirs Jamaïcains dans cette histoire parallèle où une mère abandonne sa fille pour retrouver l’amour et gagner de l’argent en Amérique pendant que sa fille galère dans la famille de son père qu’elle connait trop peu. Des histoires d’amour impossible, difficile et souvent homosexuel. Le mirage américain a encore sévi même si les migrants irréguliers parviennent à se se ménager des petits moments de tendresse.
A Pennyfield dans un des quartiers parmi les plus pauvres de Kingston, Patsy travaille comme secrétaire pour élever sa fille en lui donnant la meilleure instruction possible et subvenir au besoin de sa mère qui a tout plaqué pour se consacrer à la religion. Ses revenus ne suffisant plus à payer une bonne « lékol » à Tru, elle décide de rejoindre celle qui fut plus que son amie, à New York où elle espère renouer leur relation et gagner de l’argent pour faire vivre dignement sa famille. Elle finit par obtenir un visa et, après avoir confié Tru à son père marié à une autre femme avec laquelle il a déjà trois autres enfants, elle s’envole vers un autre monde, une autres destinée, un futur qu’elle espère doré…
Nicole Dennis-Benn raconte deux histoires parallèles : celle de Patsy partie seule à New York pour retrouver son amour et y gagner de l’argent pour les siens, et celle de Tru enfant abandonnée par sa mère et accueillie au sein d’une famille qu’elle ne connait que très peu. Rien ne se passe comme prévu, Patsy retrouve son amie mariée avec un homme riche et ambitieux qui refuse que sa femme fréquente une exilée sans papier. Elle cherche un travail parmi les petits boulots épuisants et très mal payés réservés aux immigrés illégaux et se résigne à mener une petite vie sans intérêt loin des siens avec lesquels elle a dû rompre faute d’argent suffisant à leur envoyer. Désespérée, elle vit misérablement jusqu’à ce qu’elle rencontre une autre femme comme elle avec laquelle elle retrouve un peu d’espoir et de joie de vivre.
Pendant ce temps Tru grandit difficilement dans sa nouvelle famille, elle refuse sa belle-mère qui voudrait jouer le rôle de mère par substitution, ses demi-frères surtout le dernier qui est jaloux de sa relation avec leur père. Elle est brillante à l’école et sur le terrain de foot où elle joue régulièrement avec ses potes. Elle se sent plus proche d’eux que des filles de sa classe. Elle en veut très fort à sa mère qui lui a promis de revenir et de lui envoyer des cadeaux mais ne donne aucun signe de vie.
Ce roman, c’est l’histoire des noirs Jamaïcains des quartiers pauvres de la grande ville qui rêvent de s’envoler vers l’Amérique ou la Grande-Bretagne qu’ils idéalisent à travers les images qu’ils voient sur les écrans de télévision. C’est aussi l’histoire de leur désillusion quand ils échouent en terre d’exil d’où ils ne peuvent plus partir sous peine de rentrer au pays couverts de honte. C’est aussi l’histoire du peuple noir de la Jamaïque spolié de tout, privé de tout ce qui leur permettrait de conserver leur dignité et, de plus, soumis au racisme. C’est également une grand fresque des quartiers pauvres de Kingston et des quartiers de New-York peuplés par les immigrés sans papier.
Ce livre c’est aussi une peinture de la société jamaïcaine gangrénée par la corruption et les trafics en tout genre où les arbres généalogiques comportent de nombreuses branches qui s’entrelacent plus ou moins anarchiquement rendant les filiations plutôt incertaines. C’est également un roman d’amour parfois impossible, parfois difficile, parfois inespéré mais presque toujours homosexuel entre les femmes qui se débattent pour survivre malgré le machisme des mâles, l’obscurantisme religieux, la pauvreté et l’exploitation… et trouver un peu de tendresse dans leur misère.
Une fresque sociale d’un des peuples qui n’a pas d’autres choix que de prendre la route, la mer ou les airs pour fuir un pays qu’ils aiment mais où ils ne peuvent plus vivre, pour rejoindre un autre où, hélas, ils n’auront que très peu de chance de vivre mieux.
Denis Billmaboz