Il n’y a pas qu’Arcade Fire à Montréal, il y a par exemple The Dears, un groupe bien moins connu mais généreux et inclassable, qui, après deux ans de report dû au Covid, a enchanté dimanche soir le public de la Boule Noire.
Dimanche soir montréalais sur le Boulevard de Rochechouart : pendant que les vétérans du post-rock de Godspeed You! Black Emperor font voyager l’Elysée Montmartre dans leur univers mental, dans la plus modeste Boule Noire, les étranges The Dears vont tenter de faire voir à leur public – plus limité mais pas moins enthousiaste – « le visage de Dieu », comme avait écrit à l’époque un journaliste enthousiaste. Entre deux expériences soniques, il n’était pas simple de choisir, et la promesse de la douce intimité de la Boule Noire a certainement influencé notre choix d’aller écouter l’impressionnant chanteur-guitariste Murray Lightburn et sa blonde moitié, Natalia Yanchak, aux claviers et au chant…
21h15 : Il est difficile de décrire la musique de The Dears à quelqu’un qui ne la connaîtrait pas, et l’une des grandes qualités du groupe, c’est bien que les étiquettes n’y adhèrent pas. Il suffit de lire les références qui fleurissent dans les articles : on y cite aussi bien Blur que Morrissey, Radiohead que Jethro Tull ou Genesis ! Nous, on aime surtout quand les guitares font beaucoup de bruit, et ce sera le cas ce soir, heureusement !
« We’re from another world / A world that’s getting so cold and s’real / It’s where we’ve been hiding » : ça commence très fort émotionnellement avec We’ll Go Into Hiding, le titre qui clôt Lovers Rock, le dernier album de The Dears avec un lyrisme dévastateur. Ce qui saute aux yeux, c’est que Murray Lightburn a une classe folle, on l’imagine très bien en chanteur soul intemporel. Mais non ! Il joue et chante du Rock : il tient une guitare acoustique, et il chante aussi magnifiquement qu’on l’espérait – même si, parfois, du premier rang, sa voix sera un peu trop en retrait. Au milieu de la chanson, la guitare de Steve Raegele explose littéralement… Bon, on n’a pas les violons, mais on les imagine en fermant les yeux : « I don’t want to hear excuses / We’re leaving this place tonight / Building a better future / It’ s gonna be alright »… Acceptons-en l’augure, mais en tout cas, oui, ce concert va bien se passer…
… Et très vite, The Dears vont faire parler la poudre… Très vite, Murray troque sa guitare acoustique pour une électrique, et à deux avec Steve, ils font beaucoup de bruit, c’est certain : acouphènes garantis cette nuit. Derrière nous, certains se boucheront les oreilles, ce qui est toujours un excellent signe. En plus, le batteur tape comme un vrai sauvage !
Après le déluge power pop de Hate Then Love et ses « woo woo » qu’on reprend en chœur, le swing réjouissant de Whites Only Party, accueilli par des cris de joie des fans achève de conquérir les derniers récalcitrants (c’est une façon de parler, nous n’en avons pas vus autour de nous, en fait).
On pourrait citer chacun des 16 titres que The Dears nous joueront, car chacun est différent, original, ajoutant une nouvelle tonalité à notre plaisir. On pourrait dire que le chant de Natalia n’est pas qualitativement au niveau du reste – comme sur les albums d’ailleurs -, mais ce serait chipoter tant, au milieu de tant d’excellence, et dans l’enthousiasme général, ça passe comme une lettre à la poste.
Après un dernier moment de lyrisme (22 : The Death of All the Romance), The Dears quittent la scène après un peu moins d’une heure vingt. Comme nous en réclamons encore, Murray revient nous dire que, malheureusement, vu l’horaire, ils ne pourront pas jouer plus longtemps…
Comme on est sûrs et certains que Godspeed You! Black Emperor auront eux aussi fait le show ce soir, on ne peut pas s’empêcher de trouver en ressortant dans Paris que cette nuit, déjà froide pour la saison, baigne dans une petite atmosphère québécoise…
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot