Et si Wonder, le 52ème album d’Elliott Murphy figurait parmi ses meilleurs ? Il est en tout cas l’un des plus gais, les plus positifs… et donc l’un de ceux qui vous feront le plus grand bien cette année !
Lui : Encore un album d’Elliott Murphy, ce loser qui n’intéresse plus personne depuis 1976 ? T’es pas sérieux !
Moi : Oui, encore un album d’Elliott Murphy, son cinquante-deuxième en cinquante ans, sans compter une floppée de disques live… Et ça n’a pas l’air d’être fini, il tient méchamment la forme, notre troubadour américain exilé à Paris !
Lui : Cinquante-deuxième ? L’horreur ! Cinquante-deuxième fois la même chose, en plus… Niveau originalité et réinvention = zéro pointé !
Moi : Il y a des gens qui se réinventent en permanence, comme Bowie, par exemple. D’autres qui tentent de s’adapter à l’évolution des goûts du public, comme beaucoup de gens qui n’ont pas tant de talent que ça. Et puis il y a ceux qui creusent toujours le même terrain, en particulier celui, fertile, du Blues. Ou plutôt, comme Murphy, qui raffinent à chaque fois plus l’or de leur style. Tiens, je vais te dire, Wonder, c’est peut-être bien l’un de ses meilleurs disques, depuis des années : on n’est pas loin du niveau d’un Just a Story From America, par exemple. Une chanson comme That’s the Scene, elle prend place parmi ce qu’il a composé de meilleur !
Lui : Je ne vois pas grande différence, personnellement, avec tous ceux qui ont précédé !
Moi : Tiens, regarde la pochette, tu ne vois pas ? Non ? Eh bien, ce dépouillement, cette absence d’image couleur sépia ou marron, qu’il aimait un peu trop jusque-là… Juste ce mot, « Merveille », des couleurs gaies, du blanc…
Lui : Pfff ! Du marketing pour faire moderne, c’est tout !
Moi : Non, pas du tout : s’il y a une révolution ici, elle est souriante, gaie, optimiste. Voilà son premier disque qui parle du début à la fin de bonheur, de l’émerveillement que l’on peut ressentir devant la vie, à soixante-dix ans passés comme à vingt ans. Hope (In Your Eyes), par exemple, qu’il nous joue près de deux ans sur scène, ça a été sa manière à lui de réagir au confinement, au stress du Covid, mettre en avant l’espoir toujours vivace d’une vie nouvelle. Un beau message, non ? Tellement loin de la dépression que nous avons tous ressenti alors, et qui l’a sans doute menacé lui aussi…
https://youtu.be/En6oj6U4DJ4
Lui : Bon, j’ai bien noté les « pa, pa, pa, pa… », façon Loaded du Velvet à la fin de Children of Children, les « be bop a doo wa » de Raindrops, et encore les « ba, ba, ba… » pour terminer Hailstones… mais c’est pas un peu trop évident, un peu niais, même, à la limite ?
Moi : Tu sais bien qu’il y a surtout dans les paroles de Murphy un sens de la littérature qui le distingue du tout-venant, et puis des sujets qui font du sens… donc il peut bien se permettre quelques gimmicks rock’n’rolliens simplistes, non ? Une chanson comme, allez au hasard, Lack of Perspective, c’est une réflexion fine sur ce qu’on apprend avec l’âge, et ce qu’on oublie : « I’m going back in time / To change my mind / I got a lot to learn / Not so much time to burn / I’m gonna stop and press rewind » (Je remonte le temps / Pour changer d’avis / J’ai beaucoup à apprendre / Pas tellement de temps à gaspiller / Je vais m’arrêter et appuyer sur rembobiner)…
Lui : Oui, bon, mais ce genre de sujet, ça n’intéresse que les vieux, non ?
Moi : Je ne crois pas, d’ailleurs la chanson prend aussi le point de vue de la jeune génération, et on peut l’entendre comme le message d’un père à son fils, ici Gaspard, qui, d’ailleurs produit, encore une fois brillamment l’album. Et puis, quand même, la mélodie est tellement entraînante qu’il n’y a même pas besoin de comprendre les paroles pour se sentir transporté !
Lui : ça m’a fait rigoler quand sur Lonely, il murmure un « Better Call Saul », histoire de faire le mec qui regarde des séries TV, comme les jeunes…
Moi : Lonely, sur un rythme latino, c’est une sacrée chanson, à la fois tendue, presque menaçante, comme Murphy a toujours su en faire, tout en parlant de manière originale, presque ludique tout en restant politique, des grands défis actuels : « When you’re standing on an iceberg / and it’s melting / to the size of a snowball » (Quand tu es debout sur un iceberg / et qu’il fond / se réduit à la taille d’une boule de neige). Ça, ça peut parler aux jeunes, non ?
Lui : Bon, je comprends ton point de vue, après tout il en faut pour tous les goûts… Moi, de mon côté, il y a une idée que j’ai trouvée cool, c’est quand il fait le coup du générique parlé à la fin, sur I know there’s a place.
Moi : C’est vrai que ça conclut de façon à la fois souriante et personnelle un album qui est déjà l’un de ses plus originaux. Bon, je te laisse, je retourne l’écouter en boucle. Et puis on se voit l’année prochaine pour le numéro 53, non ?
Lui : Grrrr….
Dialogue capturé par Eric Debarnot