Sixième volume des enquêtes de la dangereuse (et perturbée) procureure Jana Berzelius, les Griffes du Silence évite les stéréotypes habituels du polar scandinave pour se concentrer sur les drames personnels de ses protagonistes. Et ça fonctionne parfaitement !
Vu l’explosion de la « consommation » (pardon de la lecture) et donc de la « production » (excusez-moi, de l’écriture) des polars / thrillers, commence à se poser de plus en plus la question de l’originalité dans un genre qui semble tourner en rond et répéter les mêmes histoires et les mêmes « trucs » (tout le monde ne peut pas s’appeler Janice Hallett et réinventer les mécanismes narratifs comme elle le fait…). Emelie Schepp est une autrice suédoise (j’en entends déjà d’aucuns dire : « oh non, pas encore des polars scandinaves !) qui a percé au cours des cinq dernières années tant en termes de reconnaissance critique – elle a reçu de nombreux prix – que de chiffres de vente : elle a poussé un cran plus loin le principe fatigué de l’enquêteur, flic ou privé, en faisant de son héroïne, la procureure Jana Berzelius, une quasi-psychopathe rompue à l’exercice de la violence. Et pourquoi pas ?
Au lieu de nous refaire encore une fois le coup – vraiment usé jusqu’à la corde – du serial killer, les Griffes du Silence (titre français grandiloquent, qui fait référence au fait que presque tous les personnages du récit sont piégés par le fait de ne pas pouvoir partager avec quiconque les situations inextricables dans lesquelles ils sont empêtrés, mais qui est beaucoup moins pertinent que le titre original, Nio liv, c’est-à-dire « Neuf Vies »…) explore la dynamique des gangs se développant autour du trafic de drogues : comment ils font régner la terreur chez les habitants les plus démunis des cités populaires, comment ils basculent du petit « commerce » de stupéfiants au grand banditisme… Quand trois membres d’un gang sont assassinés dans une forêt, et qu’un quatrième est pris en otage avec une bombe attachée à son torse, la police et la justice suédoise s’emploie à comprendre ce qui se passe et à essayer de démembrer le gang… Mais Jana, elle, est impliquée bien au-delà de sa position officielle…
Curieusement, quand le lecteur entre dans les Griffes du Silence, il peut se trouver désorienté devant la relative simplicité de l’histoire par rapport à ce à quoi il est habitué dans le polar contemporain, scandinave en particulier. Les Griffes du Silence n’est pas vraiment un « whodunnit » avec coups de théâtre et twists comme on en raffole de nos jours, mais plutôt un drame où l’on observe des personnages se débattre au milieu de situations difficiles, voire impossibles. On comprend donc, peu à peu, et c’est sans doute plus compliqué pour quelqu’un qui n’aurait pas lu les tomes précédents des « enquêtes de Jana Berzelius » et doit se familiariser rapidement avec toute une galerie de protagonistes ayant tous des relations complexes entre eux, que Schepp excelle avant tout dans les aspects psychologiques de son histoire, et qu’à l’inverse, le côté « action » peut paraître, comme dans la conclusion du livre, un peu simpliste, voire caricatural.
Ce sixième volume de la série à succès d’Emelie Schepp ne décevra certainement pas ses innombrables lecteurs fidèles, qui attendront avec impatience la traduction en français de son nouveau livre, publié cette année en Suède, Björnen sover (l’ours dort…).
Eric Debarnot