Sur un sujet casse-gueule, on craignait le mélodrame baveux alignant les poncifs, et on accueille avec plaisir le thriller tendu, tranchant et dénué de pathos qu’est le Sixième Enfant, le remarquable premier film de Léopold Legrand.
Anna ne peut pas avoir d’enfants, et peu à peu son désir de maternité a tout dévoré en elle : lorsque l’opportunité se présente d’acheter l’enfant à naître d’un couple de gitans en train de sombrer dans la misère, elle ne va pas hésiter une seconde pour vivre, enfin, son rêve, quitte à mettre en danger son couple, son métier (elle est avocate), voire son avenir.
Sara Giraudeau est Anna, et son talent pour interpréter une femme borderline éclate pour la première fois à l’écran : elle qu’on avait trouvée irritante dans la Page Blanche est ici impérieuse et bouleversante. Elle a reçu un prix d’interprétation, mérité, au Festival d’Angoulême. Mais elle n’est pas seule, elle est entourée ici d’un trio brillantissime d’acteurs qui se surpassent en sobriété dans les rôles qui encourageaient pourtant l’excès de pathos et la caricature : Judith Chemla, qui incarne Meriem, une mère contrainte par la pauvreté à abandonner son enfant – le sixième – est très émouvante, mais c’est sans doute, plus encore que Benjamin Lavernhe parfait en avocat rigide et logique, désemparé devant le « délire » de sa compagne, Damien Bonnard – déjà mémorable dans les Misérables – qui conjugue le mieux force brute, en dépit de l’adversité, et fragilité émotionnelle. Avec un tel quatuor, le scénario du Sixième Enfant, tiré du roman d’Alain Jaspard, Pleurer des Rivières – que certains jugent improbable, voire invraisemblable, ce qui n’est pas notre opinion – pouvait-il donner un mauvais film ?
Oui, indiscutablement : il suffisait d’aller vers le pathos, voire le mélodrame, de pousser naturellement les curseurs vers le drame et les sentiments déchirants (pleurer des rivières !!!)… Léopold Legrand, dont c’est pourtant le premier long-métrage, a eu l’intuition de dénuder au contraire son histoire, de lui ôter tout sentimentalisme, de refuser le commentaire social pourtant évident (« les riches peuvent acheter les enfants des pauvres », ce genre de banalité…), de rendre chacune de ses scènes juste et tranchante. Du coup, le Sixième Enfant se regarde comme un thriller particulièrement prenant, et donc stressant, et ce d’autant que l’on sait bien que tout cela ne peut que très mal finir (et ce n’est pas un spoiler… puisque très rapidement, il est aisé de discerner la faille dans l’histoire imaginée par Anna et Meriem…).
On sort du Sixième Enfant assez estomaqué par une réussite qu’on avait aussi peu vu venir. Et en se disant qu’un grand réalisateur est peut-être né. On suivra désormais avec intérêt le travail de Leopold Legrand.
Eric Debarnot