Pour son premier album en cinq ans, Nikki Lane remonte aux sources de sa passion en compagnie des membres de Queens of the Stone Age. Une virée dans le désert qui a permis à la reine de l’outlaw country de laisser son propre vide derrière elle.
Au début, on prend peur. Pas beaucoup, mais immédiatement. Les paroles de First High semblent suivre cette direction bien connue (vers l’arrière) qui rend forcément tout moins bien maintenant, puisque c’était quand même mieux avant. Surtout le rock & roll, hein. Ce bon vieux rock & roll de l’époque qu’on aimait pour de vrai. Pas comme maintenant, quoi. Le genre de trip retro qui est bien souvent encore plus agaçant en pratique que sur le papier, et qui aurait tendance à faire grincer des dents tout auditeur un tant soit peu réceptif à la créativité de la scène rock du moment. Pourtant, une fois le contexte de l’album déroulé plus avant, la réticence laisse place à une certitude, celle de comprendre exactement de quoi il s’agit. La plupart des textes de Denim & Diamonds ont trait au passé de Nikki Lane (ou, en tout cas, à celui d’un personnage se racontant à la première personne), telles les vignettes successives d’un album de famille qui, loin d’appeler à la sur-idéalisation d’une époque révolue, est surtout une façon partager des souvenirs tantôt drôles, tantôt émouvants et toujours examinés avec une tendresse non-feinte. La demoiselle semble avoir traversé une phase de remise en question plutôt rude, ayant rendu le titre de son précédent opus, Highway Queen, prophétique pour les mauvaises raisons. Surmenage dû à des tournées incessantes, décès de son ancien batteur, convalescence de son guitariste… Lane a enduré quelques coups du sort qui l’ont fait hésiter à poursuivre sa carrière musicale. Sur Denim & Diamonds, la titulaire du sobriquet durement acquis de nouvelle reine de l’outlaw country entend donc redonner de l’ardeur à sa flamme créatrice, puisant pour ce faire dans ce qui lui avait initialement fait consacrer sa vie à la musique.
Sur le plan musical, justement, tout est d’une solidité qui confine à la triche. L’album est supervisé par Josh Homme en personne, lequel a évidemment rameuté quelques unes de ses âmes damnées habituelles (le zélé Alain Johannes mais aussi Dean Fertita, Mikey « Shoes » Shuman ou encore Carla Azar, qui avait déjà prêté ses baguettes au dernier volume des Desert Sessions). La patte Joshua Tree est immédiatement identifiable à l’écoute du résultat, avec ce son de basse granuleux et cette batterie matte qui attestent que le géant californien pourrait tout à fait se passer des services d’un producteur sur son travail avec Queens of the Stone Age. Les guitares sont exemplaires dans leur veine crade mais sophistiquée, que ce soit sur les riffs glam jubilatoires de First High, le country-rock délicieusement stonien de Black Widow ou les sinuosités de la chanson-titre, dont l’intro ne dépareillerait nullement chez les Reines de l’Age de Pierre. Born Tough est sixties à souhait (les guitares des couplets rappellent le Summertime Blues d’Eddie Cochran, mais est-ce intentionnel ?) et Try Harder, derrière sa façade d’exercice country ultra-académique (complété par un texte exaltant cette éthique de bosseur indomptable que les cowboys révèrent) recèle de belles saillies biscornues comme seul Homme peut en trousser.
Pire encore, les ballades sont toutes totalement à niveau. Les arrangements de Faded agglomèrent lap-steel, claviers et cordes pour tisser un superbe écrin à la voix de Lane, ensuite rejointe par Homme qui croone des chœurs sexy avec l’aplomb suave qu’on lui connaît. Live/Love ressort la steel drum qui avait déjà fait quelques merveilles pour Iggy sur American Valhalla, et en fait la cerise sur un gâteau de banjos et de pianos délicats qui ferait saliver Jack White. Pass It Down est assis au beau milieu de la palette des sons en présences. Ni totalement rock, ni totalement country, ni totalement une ballade, ni totalement riffue, la chanson achève de conforter le son d’un album toujours plus dense et rusé qu’on ne l’aurait soupçonné à première vue. En guise de coup de grâce final, le projet conserve une cartouche de choc dans son chargeur avec Chimayo, splendide clausule à la vulnérabilité imparable et dont les arpèges de guitare classique peuvent d’ailleurs rappeler une certaine chanson intitulée Mosquito Song.
Ce qui pouvait initialement s’annoncer comme une possible faiblesse du projet se révèle finalement être sa force essentielle. En opérant un retour aux sources de sa vocation musicale, Nikki Lane accomplit donc deux réussites de taille. Premièrement, celle d’une nouvelle fournée de chansons à la qualité impeccable qui feront sans doute quelques beaux ravages en tournée. Deuxièmement, la communication de cet enthousiasme créatif renouvelé, instantanément perceptible par l’auditeur. Après Humbug pour Arctic Monkeys, Post-Pop Depression pour Iggy Pop et New Skin pour CRX, Josh Homme prouve une nouvelle fois qu’il est un producteur de talent, parfaitement à même de dessiner des costumes élégants pour des artistes aux registres variés et aux personnalités marquées. Vous n’imaginiez pas Nikki Lane s’acoquiner avec la bande de Queens of the Stone Age ? C’est compréhensible. Reste que le résultat lui va comme un gant, ou plutôt comme l’une des chemises vintage qu’elle commercialise sous sa marque High Class Hillbilly. Comme elle le dit elle-même en interview : Si vous n’aimez pas sa musique, vous la rendez triste ; mais si vous n’aimez pas ses vêtements, vous avez tort. Hasardons que ne pas aimer Denim & Diamonds reviendrait à s’inscrire simultanément dans les deux catégories.
Mattias Frances