De l’inédit dans le genre ultra-codé et ultra-connu de la série ado : la mise en lumière des adolescents intersexués. Cette production française formidable filme les genres, les errements, les hésitations, les doutes et les pulsions de jeunes adultes comme jamais personne auparavant.
Chair tendre met en lumière Sasha, 17 ans, nouvellement arrivé dans le lycée, la ville, l’endroit où se déroule l’intrigue – qui pourrait être n’importe où en France. Sasha s’impose en tant que fille, même s’il est né garçon. Une identité trouble qu’iel peine à gérer, pris entre ses tourments familiaux (famille assez dysfonctionnelle), ses tourments passés (harcèlement à cause de son genre pas vraiment déterminé) et ses tourments amoureux (Sasha est autant attiré par Alex que par Anna). Cette difficile acceptation de soi, notamment dans l' »âge ingrat » qu’est la fin de l’adolescence, va s’accroître quand Sasha va apprendre qu’il est né dans un corps intersexe, sans genre défini, et qu’il a été suivi médicalement, avec accord parental, pour finalement lui attribuer un genre masculin dès ses premières années. Sasha est, comme un peu plus de 1% de la population, à n’être né ni homme ni femme, mais avec des variations de genre et de sexe qui en font un être complexe et non déterminé de manière biologique. Sujet inédit, tabou même, évidemment casse-gueule. Mais le résultat est aussi simple que magnifique.
D’abord parce que Chair Tendre, malgré son canevas très neuf de par son sujet, décide d’emprunter le chemin naturaliste de la série ou du film d’ado, thème rebattu mais qu’il secoue avec une énergie jusque-là insoupçonnée dans les productions françaises. En résumé, ce serait la série Euphoria filmée par un Maurice Pialat des années 2020. Yaël Langmann, aux manettes de la série, redéfinit l’adolescence en question, l’adulte en devenir et en quête d’identité comme de liberté absolue avec une maestria discrète et avec laquelle on adhère direct. Autour de Sasha, personnage pivot de toutes les histoires, de toutes les interrogations et de tous les choix, s’organisent de manière ample toutes les choses humaines : amitié, drague, rapports parents-enfants, sororité, emprise et harcèlement, sexualité et conflits intérieurs. La série ne s’interdit rien, va dans tous les recoins des paradoxes, et questionne finalement toute la société sur les bouleversements sexués et identitaires qui secouent les jeunes générations. Et tout cela, sous une caméra bienveillante qui ausculte un petit groupe de lycéens.
La distribution est assez exceptionnelle (fait remarquable pour une série française disons…tous les comédiennes et comédiens sont incroyables de justesse et de fraîcheur) et permet rapidement de s’attaquer de manière frontale, sans concessions mais aussi pédagogique, au thème de l’identité de genre des personnalités intersexes. C’est d’ailleurs peut-être là son seul défaut : le côté un peu didactique de certaines scènes qui finalement expliquent le concept d’intersexualité, de manière trop écrite pour ne pas qu’on remarque la rigidité du propos purement informationnel. De même pour le final en forme de plaidoyer symbolique, s’éloignant un peu trop du réalisme général pour emprunter d’autres chemins… un peu décevant de prime abord, mais vraiment original, comme si Terrence Malick s’invitait sur un épisode d’Euphoria ( notamment avec le formalisme flamboyant de la mise en scène).
Grande gagnante du festival SériesMania 2022, Chair Tendre, en dix épisodes courts, propose une vraie réflexion sur la norme, le genre, la place que l’on occupe dans une société faites de règles souvent désuètes et d’apparents critères. Tout en oubliant de vibrer de toutes ses forces visuelles pour inventer la série ado d’aujourd’hui, fiévreuse et nonchalante à la fois, cruelle et éternellement en quête de désir et d’absolu. La combinaison est électrique, osée, libre. Et géniale.
Jean-françois Lahorgue