Nouvelle sortie de la formation polonaise, Revolution Comes In Waves est, comme tout second album, chargé de transformer l’essai de son prédécesseur. Un peu de pression chez les post-punkeux ? « Même pas mal », semble être la réponse des intéressés.
© Izzy and the Black Trees
Dans le contexte d’un album musical (pas uniquement, mais c’est quand même le cas de figure qui va nous intéresser), l’art de casser un maximum de dents en un minimum de minutes est une vertu ambivalente. Pourtant, une fois lancée l’écoute de Revolution Comes In Waves, deuxième opus des polonais de Izzy and the Black Trees, le constat s’impose. I Can’t Breathe déboule toutes griffes dehors, comme Dead Sara huilant la musculature de Queens of the Stone Age pour mieux y foutre le feu. D’emblée, ce premier titre hisse les couleurs d’un groupe sûr de sa force de frappe et déjà tout guilleret de la sévère branlée qu’il s’apprête à nous passer. Une gaillardise instantanée qui n’est pas sans risque, puisqu’il lui faudra se maintenir sur l’entièreté du projet pour espérer convaincre totalement. Or, là où commencer en tapant très fort est louable sur un ensemble qui s’avérerait ensuite exceptionnel, la même entrée en matière sera davantage perçue comme une trahison ou une vitrine mensongère dans le cas d’un album s’essoufflant aussi sec, une fois évacuées les présentations en fanfare. La simple rédaction de ces lignes suffit d’ailleurs à faire resurgir chez votre serviteur des flash-backs du Fever Dream de Of Monsters And Men, groupe dont l’existence l’affecte habituellement autant qu’un pet sur la Lune (il dit ça sans méchanceté aucune, mais avec une indifférence sincère). Il avait néanmoins été immédiatement conquis à l’époque par Alligator, fantastique single et chanson d’ouverture d’un album dont l’écoute s’était ensuite apparentée à une vasectomie à l’agrafeuse. Brrr.
Mais je m’égare. Revenons-en à nos moutons qui, en l’occurrence, broutent paisiblement à l’ombre des sombres copains branchus de cette chère Iza Rekowska, Izzy pour les intimes. Une turbulente petite bande qui, fort heureusement pour nous (et pour eux même si, légitimement, la teneur de cette chronique leur importera bien peu), a décidé de gérer le pâté dans les grandes largeurs. Les deux titres qui suivent I Can’t Breathe sont justement un beau programme d’intention. Liberate caracole sur un tempo punk drivé par une basse robuste et un batteur rusé, où la voix d’Izzy et les guitares se renvoient la balle, l’un squattant la lumière dès que l’autre se met en retrait. Devil On The Run commence comme chez Black Sabbath pour changer subitement de registre et de cadence, faisant entrer le chant comme un jumpscare audio sur des arpèges et des saillies fuzzy du plus bel effet. National Tragedy, incantation dans les règles d’un art dégrossi par Patti Smith et réformé par PJ Harvey, est l’archétype du morceau permettant à un groupe de mettre en avant ce qui fait sa force de caractère. Ni totalement chanté, ni totalement parlé, ni totalement détendu, ni totalement vénère, à la fois minimaliste et criblé de déflagrations grunges, il propose un début de réponse à des questionnements comme « Izzy and the Black Trees ? C’est quoi ? C’est qui ? Ça sonne comment ? ». Bah voilà. Maintenant, vous saurez.
Break Into My Body regagne des pelouses plus pop en incorporant une panoplie de reverb et chorus qui lorgne vers la new wave. Un regard en coin qui se fait très insistant avec Petty Crimes, qui n’aurait pas dépareillé chez The Cure période Pornography… du moins pour la première moitié de la chanson, puisque les grosses guitares finissent par s’incruster à la faveur d’un groove de caisse claire gargantuesque. Miam. Dès la première mesure, Visions crache bien fort dans le potage, touille sans ménagement et nous fait tout avaler dans un entonnoir de fuzz façon Kyuss. La batterie est éléphantesque, les guitares grondent furieusement et le groupe enclume ses riffs grinçants avec une rogne qui fait suer des dorsaux. Avis aux amateurs de mosh pits, ça sent fort la patate de camionneur dans les gencives. Kick Out the Damned couple ses claps festifs à des vocaux tendus comme un string de sumotori, braconnant quasiment sur les terres de Savages, le tout servi par des riffs au lance-flamme qui calcinent tout ce qui aurait l’audace de frétiller un peu trop près des speakers. Love’s In Crisis, au contraire, se révèle une élégante accalmie mélodique, dont la moirure vibrante pourra évoquer les détours les plus naturalistes de la discographie des Yeah Yeah Yeahs ou des Kills. Faisant montre d’une surprenante propension à prendre leur propre cahier des charges à rebrousse-poil, Izzy et ses sbires façonnent ici une composition qui, même dans son dernier tiers soudainement éruptif, fait la part belle à une mélodie dont la mélancolie adoucit les angles bruts qui l’encadrent. Persistant jusqu’à la fin dans sa volonté de conserver une coudée d’avance sur l’auditeur, l’album s’achève ensuite sur Candy, pied de nez final pour trente secondes de pugilat punk à la Minor Threat.
© Izzy and the Black Trees
Revolution Comes In Waves est le genre de production qui, une fois son écoute terminée, vous pousse à y retourner immédiatement. Je plaide coupable, puisque je me suis repassé les dix chansons quatre fois avant même de daigner réfléchir à un semblant d’introduction pour cette critique. C’est donc avec une énergie compulsive qu’Izzy and the Black Trees entérinent (tiens, encore une métaphore de pâté ?) leur participation à cette mouvance de nouveaux groupes menés par des filles, au son indie mais heavy, qui apportent une cure de jouvence inespérée à un genre en grand danger d’encroûtement (encore une ?) terminal. À ce titre, il convient de saluer la solide tenue des textes de ce nouvel album, qui font montre d’un doigté habile dans leur prise du pouls de l’actualité de ces dernières années. Fraîchement assis sur les bancs d’une promo qui englobe également Dead Sara, Savages, Deep Vally, Dry Cleaning, Wolf Alice, Starcrawler, Amyl & The Sniffers et The Bobby Lees, Izzy et ses arbres sont assurément en plaisante compagnie. Ce n’est pas le moindre (ni, espérons-le, le dernier) des privilèges auxquels leur talent semble tout naturellement les prédisposer.
Mattias Frances