Si la famille bourgeoise, on le sait depuis les chefs d’œuvre de Claude Chabrol, est l’Origine du Mal, ne comptons pas sur le film de Sébastien Marnier pour faire autre chose que nous divertir occasionnellement avec un scénario manipulateur et des personnages caricaturaux.
La publicité faite autour de l’Origine du Mal nous promet un film entre Chabrol et De Palma, et on se remémorera de cet engagement ambitieux en sortant deux heures et quelques plus tard d’une séance où on aura hésité entre hilarité – mais le film n’est jamais assez drôle -, dégoût – mais la provocation proposée par Sébastien Marnier reste franchement anodine, et caricaturale en même temps – et ennui – le film fait une bonne vingtaine de minutes de trop, et souffre d’un rythme cacochyme qui ne pardonne pas quand on a pour ambition de réaliser un thriller semi-parodique.
Ce que nous propose l’Origine du Mal, c’est la description « méchante » d’une famille bourgeoise française, capitaliste tendance droitiste, voire extrême-droitiste, au centre de laquelle le patriarche (Jacques Weber, plutôt digne au milieu de la pantalonnade générale) survit après un AVC sous la pression continuelle d’une tribu de femmes haineuses. Comme de bien entendu, c’est l’irruption d’une pièce rapportée à cette triste comédie humaine, sous la forme d’une fille « oubliée » réapparaissant comme un chien dans un jeu de quilles, qui va faire basculer l’équilibre précaire des détestations et des jalousies dans la tragédie, ou plutôt la tragi-comédie.
Signe de notre époque, c’est le scénario qui fait la loi, et qui délivre son lot de coups de théâtre sur mesure, dont l’invraisemblance ne semble pas effleurer l’esprit des scénaristes. Ce ne serait pas un problème, tant on est désormais habitués à la dictature du twist dans le cinéma populaire, si du coup, les personnages, excessifs mais a priori intéressants, n’en perdaient pas toute cohérence, et donc toute crédibilité. Et c’est bien là qu’il n’y a plus rien de « chabrolien » dans l’Origine du Mal, tant Chabrol, et même dans ses films les plus bâclés, ne réduisait jamais ses personnages, jusqu’aux plus excessifs, à de simples pièces mécaniques au service d’un scénario tout-puissant. Et puis, malgré l’affection qu’on peut ressentir pour elle, Laure Calamy n’a pas le talent d’une Stéphane Audran ou a fortiori d’une Isabelle Huppert, quand il s’agit d’interpréter la duplicité et l’intelligence manœuvrière.
La référence à De Palma a encore moins lieu d’être, tant le film manque totalement de subconscient, d’une quelconque profondeur psychanalytique (et ce n’est pas le rapide basculement dans une sorte de folie de Stéphane dans la toute dernière ligne droite qui y changera quelque chose). Il ne propose aucune réflexion non plus sur les apparences, les illusions, les faux semblants, ou quelque autre sujet réellement « de palmaien ». Alors oui, on a droit à des split screens et à un changement de format de l’écran, mais c’est quand même bien peu.
Pourtant, malgré l’ennui qui plane par instants, on l’a dit, l’Origine du Mal reste un divertissement occasionnellement plaisant, mais qui est gâché lorsqu’on se rend compte que les tentatives de « critique » du patriarcat ou du capitalisme, voire, pourquoi pas, d’un féminisme simpliste qui voudrait que la femme soit moralement au-dessus de l’homme, ne sont guère que des postures sans impact ni conséquence.
Ce qui fait ressembler l’Origine du Mal à une baudruche mal gonflée qui nous distraira occasionnellement. A peine du cinéma, donc.
Eric Debarnot