Avec Tori et Lokita, Les frères Dardenne poursuivent leur exploration des maux de notre monde à travers le portrait d’une adolescente et d’un enfant condamnés à la criminalité pour s’en sortir. Un film souvent maladroit, à l’écriture scolaire et démonstrative.
Les frères Dardenne existent par le Festival de Cannes : chacun de leur film y est présenté, et après deux Palmes d’or, ils semblent avoir épuisé le palmarès avec le prix du scénario, le grand prix et la mise en scène, le tout en une quinzaine d’année. Leur présence en sélection n’est même plus une question, et les jurys se succèdent en ayant tous probablement ce petit aiguillon humaniste les obligeant à récompenser un film à teneur sociale – la double palme de Ken Loach en étant une autre preuve.
Tori et Lokita poursuit donc leur exploration des maux de notre monde, et il serait évidemment particulièrement cynique d’y voir de leur part un opportunisme : les cinéastes ont toujours été sincères dans leur approche, et documentés pour dévoiler à ceux qui les ignorent les grandes causes de l’époque. Le sort de migrants tentant vainement d’obtenir des papiers en Belgique dresse ainsi le portrait d’une adolescente et d’un enfant condamnés à la criminalité pour s’en sortir, pressurés de partout : les passeurs, les dealers, les autorités, et la mère restée au pays attendant la manne venue d’Europe. Le constat naturaliste est glaçant, et la mécanique disséquée avec efficacité. On retrouve ce regard vériste qui fait la patte des réalisateurs, en traque permanente de leurs personnages, condamnés à un parcours de plus en plus tendu, à hauteur d’enfant se faufilant dans des conduits, ou enfermés dans le trafic de ceux qui les exploitent.
L’idée de recourir à des comédiens non professionnels participe évidemment de cette ambition d’un cinéma qui collerait le plus possible au réel. Reste qu’on finit vraiment par se demander ce qui retient les frères Dardenne de s’engager sur le terrain du documentaire. Si le propos l’emporte sur la forme, si le message outrepasse les écueils, autant donner la parole aux travailleurs sociaux et aux réels protagonistes de toutes ces tragédies. Car le spectateur ne peut s’empêcher d’être gêné par cette écriture scolaire et démonstrative, où des pans entiers de dialogues sont dévolus à une exposition ou des explications réellement laborieuses. De la même manière, le jeu récitatif des jeunes comédiens donne le sentiment d’un film amateur, évidemment rempli de bonnes intentions, mais dont les maladresses finissent par se voir davantage que le reste.
Le sujet est évidemment complexe, et pourra alimenter bien des débats sur la propension de l’art engagé à servir le réel, voire de la nécessité, pour les plus radicaux, à décaper la forme pour faire comprendre que seul le fond importe. Force est néanmoins de constater que les petites voix de Tori et Lokita auraient pu trouver plus d’écho dans un projet moins étriqué. Un avis qui ne semble pas partagé par le jury, qui a été jusqu’à décerner le seul prix non reçu (« du 75e Festival de Cannes ») par le duo. Autant, à l’avenir, prévoir « Le Prix de fidélité aux Dardenne« , histoire d’éviter les pannes d’inspiration.
Sergent Pepper