Renaldo et Valentine correspondent à distance en échangeant des dessins, qui constituent la matière de Perpendiculaire au soleil. Mais Renaldo est un condamné attendant son exécution dans le fameux « couloir de la mort ». Et l’art qu’ils créent à deux est la plus belle résistance possible à la brutalité du système carcéral.
Il y a des livres, à la fois imposants par leur taille et par leurs ambitions, qui ne peuvent qu’être qualifiés de « monstres », au sein d’un neuvième art que le grand public a trop souvent tendance à préférer fidèle aux canons du genre établis au siècle dernier. Le plus impressionnant, celui qui nous vient immédiatement à l’esprit, est Moi ce que j’aime, c’est les monstres, œuvre majeure et ovni quasi indépassable… Mais auquel on pense forcément en s’engloutissant dans la lecture des 436 pages de Perpendiculaire au soleil : l’audacieuse créativité graphique, qui nous offre de nombreuses pages littéralement stupéfiantes, et l’aspect autobiographique d’une histoire qui n’évite pas pour autant des dérapages oniriques réguliers et pourtant déstabilisants, font se rejoindre ces deux ouvrages, toutes deux des créations hors normes d’autrices sortant du cadre de la BD.
Valentine Cuny-le-Calet, qui n’a que 19 ans, rejoint le programme de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) de correspondance avec des détenus américains attendant leur exécution plus ou moins proche dans le fameux « couloir de la mort ». C’est ainsi qu’elle entre en contact avec Renaldo, jeune condamné à mort pour un horrible assassinat, à propos duquel il clame son innocence : cette innocence possible n’est pas d’ailleurs pas le sujet de Perpendiculaire au soleil, elle n’est jamais réellement évoquée, puisque la question est cette pratique barbare que représente la peine de mort, ainsi que la torture de cette longue attente des condamnés à mort dans un isolement quasi absolu… Mais Renaldo et Valentine se découvrent une passion commune pour l’Art, pour le graphisme et le dessin, qui va amener Valentine à raconter, dans une sorte de journal réalisé à 4 mains, leurs échanges épistolaires. Une profonde amitié va s’épanouir entre eux deux, ils vont même se rencontrer lors d’un séjour de Valentine aux USA, sans que leur relation tombe dans la – fréquente – histoire d’amour entre correspondants échangeant leurs pensées les plus intimes.
Le véritable intérêt de Perpendiculaire au soleil, disons-le sans ambages, n’est pas la description d’un système brutal qui déshumanise ceux qu’il broie petit à petit, en particulier à coup d’injonctions administratives la plupart du temps arbitraires – nos deux « héros » passent beaucoup de temps à éviter que leur correspondance soit censurée, voire même renvoyée par les autorités pénitentiaires -, ni même, finalement, dans la dénonciation de la peine de mort. Ce qui passionne ici, et fait de Perpendiculaire au soleil un livre profondément original, souvent étonnant, régulièrement éblouissant, c’est le spectacle qui nous est offert de la création artistique au fil de l’eau, et, bien entendu, de la beauté que Valentine et Renaldo auront créé ensemble, grâce à leur dialogue, à leurs échanges, à leur talent. Même si le désespoir est souvent là, en particulier dans la dernière partie du livre, l’esprit – oserons-nous dire l’âme ? – de Renaldo n’est jamais prisonnier des quatre murs qui l’enserrent en permanence, n’est jamais brisé par la brutalité des mécanismes qui l’oppressent, qui le privent progressivement de ses droits les plus élémentaires.
Perpendiculaire au soleil n’est pas un récit au sens traditionnel du terme, même s’il raconte une « histoire vraie », dont la fin n’est pas advenue quand il s’achève : il est constitué d’une multitude de fragments, certains intimes, d’autres philosophiques – au sens le plus évident du terme, car n’est-il pas normal, humain, de s’interroger sur le sens de la vie quand on vous place chaque jour face à la perspective de votre propre mort ? -, d’autres encore purement documentaires puisqu’il s’agit ici de décrire des processus, des méthodes, des actes administratifs. Certains passages sont donc froidement informatifs (comme le terrifiant chapitre sur la pénurie de produits chimiques servant aux exécutions), d’autre terriblement émouvants.
Mais dans tous les cas, la splendeur des dessins, réalisés avec différentes techniques (gravure sur bois, crayon…), tour à tour hyperréalistes et oniriques, saisit le lecteur, page après page : Perpendiculaire au soleil est ce que l’on nomme un « beau livre », sans qu’il n’y ait pour une fois rien de péjoratif dans ce qualificatif.
Eric Debarnot