Avec Le trophée, Gaea Schoeters nous hypnotise avec ses descriptions psychologisantes de parties de chasse. Elle nous surprend avec une histoire noire et extrême qui finit de manière brutale. Elle nous déroute avec un message étonnant. Un roman totalement captivant.
Soyons clair et honnête : ça commence mal ! On se sent mal embarqué quand on rentre dans Le trophée. Les deux-trois premières pages font presque peur. Pas à cause de l’ambiance ou de l’histoire, non, malheureusement. C’est le style… il y a quelques phrases que l’on retourne quelques fois dans sa tête pour comprendre exactement ce qui cloche, parce que ça cloche. On ne se sent pas mieux quand le chasseur blanc entre en scène et qu’on lit qu’il s’appelle… Hunter White. Diantre. Même l’autrice se dit qu’elle a peut-être poussé le bouchon puisqu’elle fait demander à l’un des pisteurs qui conduit la chasse pour Hunter White, « C’est une blague, ou quoi ? Personne ne s’appelle comme ça. » On dirait que oui… Surtout que le Hunter White en question, en plus d’être un chasseur au gros est aussi un requin de la finance mondiale, qui manipule des sommes faramineuses sans vergogne ni sens moral. Comme tout capitaliste financier il s’enrichit sur le dos des pauvres gens en se tapant sur le bide. À la décharge de Gaea Schoeters, il faut admettre qu’il existe vraiment des gens qui caricaturent le personnage qu’ils sont supposés. Alors pourquoi ne pas admettre qu’on puisse en faire des personnages de roman et continuer de lire sans trop se poser des quesitons ? Parce que finalement, ça en vaut le coup : passées ces premières impressions, évacués ces moments de doutes, tout change et Le trophée se révèle être un roman captivant.
Captivant malgré une histoire assez simple : Hunter White part chasser un rhinocéros noir, pour lequel il a payé un permis de tuer ; alors que le rhinocéros est là, à portée de fusil, ce sont des braconniers qui le tuent ; Hunter White est frustré, énervé, en colère. Que faire ? Van Heeren, l’organisateur de ces chasses auxquelles White prend part, lui propose une autre proie. Hunter White arrivera-t-il cette fois à ses fins ? Jusqu’où est-il capable d’aller pour satisfaire ses envies de chasse ? Impossible d’en dire plus. Pour cela il faudrait gâcher un retournement spectaculaire qui donne toute sa force au roman.
Une partie de sa force, au moins. Car Le trophée est rendu excitant à lire à par la capacité incroyable de Gaea Schoeters à décrire la traque qui unit la proie et le chasseur de manière incroyable – à croire qu’elle chasse elle-même. Certes, toutes les lourdeurs du début ne disparaissent pas et la sobriété n’est pas toujours au rendez-vous, mais toutes ces pages que durent les parties de chasses sont complètement hypnotiques. Gaea Schoeters nous embarque dans son histoire et nous glisse dans la tête du chasseur, dans son corps. On sent ses mouvements, l’acier de l’arme. On se retrouve avec lui au milieu du bush, dans les arbres, avec les animaux. Elle nous embarque dans son histoire, trouve une manière de faire bien plus qu’un roman de safari et n’hésite pas à proposer une chute qu’on hésite à voir venir tellement elle est noire. Mais bien dans l’esprit du roman, extrême. On peut dire que l’histoire se termine comme Hunter White aurait voulu qu’elle se termine.
Hunter White… une apparence de caricature. Un personnage complexe, presque subtil. Il aime la chasse, la grande, celle qui oblige à aller dans des contrées sauvages pour se confronter au danger, le vrai, celui qui sent le sang et la mort. il n’a rien à voir avec ces chasseurs du dimanche, qu’on amène en bus sur place, pour tirer des animaux offerts comme des proies sans défense. Il ne tire pas avec des petits calibres. Il aime les armes lourdes qui tirent de vraies balles, capables d’arrêter un éléphant qui vous fonce dessus. Il aime regarder les animaux dans le blanc de l’œil au moment de tirer. Pour lui, la chasse n’est pas un passe temps. C’est un moment où on met et remet sa vie en jeu. Par respect pour les animaux eux-mêmes. Le trophée est un roman qui fouille la psychologie de ce chasseur embarqué dans une aventure extrême. Et qui se remet en question (mais peut-être pas assez) face au danger.
Le trophée est aussi un roman sur la chasse et la nature. Gaea Schœters y dénonce la chasse et ses dérives, à savoir les safaris pour touristes ; le braconnage ; et la corruption que cela entraîne. Étonnamment, Gaea Schœters ne déonce pas le genre de chasse que pratique Hunter White. Ce capitaliste richissime et chasseur au gros est présenté non seulement comme un amoureux mais aussi comme un défenseur de la nature. Parce que Hunter White chasse les animaux parce qu’ils les aime. Il aime aussi la nature – il utilise son argent pour acheter des parcelles énormes, des forêts entières pour lui seul, pour pouvoir y chasser un jour ! C’est un des aspects les plus intéressants du roman : en achetant le droit de chasser certains animaux, il contribue à la préservation des espèces en voie de disparition ; en privatisant des surfaces gigantesques, il empêche de grands groupes d’exploiter et de détruire la forêt. Le capitalisme et la chasse au secours de l’environnement. Étonnant.
Alain Marciano