Avec L’Innocent, Louis Garrel investit les terres de la comédie policière, avec un savant mélange entre une comédie dilettante et un polar qui recèle ses zones d’ombres et de savoureux retournements.
Louis Garrel est bien décidé à ne pas s’enfermer dans un genre : si l’on pouvait déceler des constantes entre ses deux premiers longs métrages (Les deux amis et L’Homme fidèle), explorations sentimentales dans l’héritage de la Nouvelle Vague, la très oubliable Croisade le voyait s’essayer au genre du conte philosophique écologique. Avec L’Innocent, il investit les terres de la comédie policière, convoquant dès l’ouverture une esthétique à l’ancienne, entre gros grain analogique, friches urbaines et casting plantureux. Une quête de l’authenticité qui fait la part belle aux décors décatis et à des personnages bien trempés, petites frappes amateures dans un monde où la débrouille fait loi.
Ce n’est pas un hasard si une leçon de théâtre ouvre son film en trompe l’œil : dans ce jeu des faux-semblants et des suspicions, il s’agira autant de lever les voiles que de porter des masques, souvent avec la plus grande maladresse. Alors que sa mère refait sa vie avec un ancien taulard, Abel entreprend de l’espionner, persuadé que ce dernier est sur le point de renouer avec son passé de criminel. L’occasion de filatures minables auxquelles il associe une amie (Noémie Merlant, radieuse) ravie d’apporter sa contribution à ces supercheries qu’elle prend peu au sérieux. Son caractère cristallise la tonalité et le jubilatoire équilibre que parvient à trouver le récit : un savant mélange entre une comédie dilettante et un polar qui recèle ses zones d’ombres et de savoureux retournements.
La scène de répétition, dans un hangar, du coup à venir va donc prolonger cette thématique du théâtre, avec une spontanéité comique qui mêle les coups d’éclats et la réflexion méta sur l’écriture du scénario de premier plan. Car si Louis Garrel semble lâcher la bride à ses comédiens, tous brillants (d’Anouk Grimberg à Roshdy Zem et jusqu’aux seconds rôles), il ne perd pas de vue la savante construction de son dispositif narratif. Celui-ci trouvera son point culminant dans une séquence qui enrichit la théâtralité frontale de la profondeur de champ proprement cinématographique : au premier plan, un couple en crise, au second, un pigeon spectateur, à l’arrière, une ouverture sur le nocturne théâtre des opérations.
Afin de compléter la comédie, il lui faudra enfin insuffler l’humanité et la profondeur nécessaire à la vie de ses protagonistes. Ce sera le cas par le regard porté sur les protagonistes de deux générations à qui on offre une seconde chance en amour, en ayant la délicatesse de faire croire qu’il s’agit d’un récit secondaire, alors qu’il se révélera essentiel.
Le braquage est donc un succès : après avoir forcé les coffres d’un cinéma à l’ancienne, Louis Garrel dilapide joyeusement son butin au grand jour, dans une course joviale qui, on l’espère, attirera le plus grand nombre.
Sergent Pepper