Hier soir, à l’Olympia, gros concert d’Editors, qui ont semblé régénérés par l’électro injectée dans leur Rock. Près de deux heures d’un set très intense, au sein duquel même les classiques ont pris des tonalités nouvelles : un groupe qui sait superbement évoluer, tout en étant toujours aussi généreux en live. Et tout a fini par… Papillon, toujours une chanson superlative. Les larmes aux yeux forcément. Et si Editors était un grand groupe ?
Alors qu’Editors viennent d’opérer une spectaculaire mutation en intégrant en leur sein le producteur Blanck Mass, il est frappant de voir le profil de leur public qui prend l’Olympia d’assaut après une queue qui a débuté plus tôt que de coutume dans l’après-midi : Editors sont devenus un groupe réellement populaire, recrutant dans différentes tranches d’âge, des nostalgiques des années 80 (il suffit de voir le succès de la diffusion de standards de Depeche Mode et de The Cure sur la sono avant le concert !), à ceux qui ne les ont découverts qu’au cours de la dernière décennie. Reste à voir si leur nouvelle musique va convaincre des gens encore plus jeunes de les suivre…
Il est 20h05 quand le duo londonien The KVB entrent en scène, devant un tableau sur lequel sont projetées des vidéos de constructions architecturales insérées dans des paysages virtuels… Ils jouent un shoegaze millésimé, posé sur des beats électroniques qui lui confèrent un semblant d’allégresse et provoquent un sentiment bienvenu de renouvellement. Ce ne sont pas des débutants, le groupe existe depuis 2010, et en est déjà à son huitième album ! Lui, Nicholas Wood, est à la guitare (avec souvent un maximum de reverb, bien entendu…) et elle, Kat Day, est aux claviers. Ils chantent tous deux ces vocaux éthérés qui conviennent parfaitement au genre. Les morceaux se révèlent tous assez accrocheurs, et tout le monde applaudit de bon cœur. Et juste quand on allait dire que tout ça manque un tantinet d’intensité, le duo clôt son set sur une chanson qui fait très The Jesus & Mary Chain, sur laquelle Nicholas essaie de battre le Guinness Record du guitariste qui jouera en portant son instrument le plus bas, le plus près du sol. Une belle première partie, même si on nous expliquera ensuite que la musique de The KVB était auparavant plus extrémiste, plus indus. Et même si on se dit qu’avec une vraie section rythmique humaine, ça serait moins original mais encore meilleur !
21h00 : Editors sont six sur scène : le trio « rock » d’origine, les deux musiciens les ayant rejoints après le départ de Chris Urbanowicz en 2012, et le dernier arrivant, Blanck Mass, installé dans le fond à droite avec ses machines. Et ils attaquent le set très fort avec la bombe Heart Attack, son déluge de beats et d’électro et son refrain facile à retenir et à chanter (en dépit de son côté inquiétant…) : « No one will love you more than I do, I can promise you that ». Baignés de lumières magnifiques, avec un son très fort, menés par un Tom Smith sur lequel le temps ne semble toujours pas avoir prise, Editors sont clairement un groupe de scène spectaculaire, dispensant généreusement ces plaisirs de la musique live à un public très enthousiaste. Le rôle de Blanck Mass est clairement central dans la nouvelle formation (même s’il reste discret sur scène, à l’arrière-plan…), avec un contrôle quasi complet sur la partie électronique de la musique.
Le set qui atteindra, rappel y compris, près de deux heures, sera principalement consacré au nouvel album – 7 chansons sur 9 sont intégrées à la setlist – et les quelques morceaux extraits des autres albums, insérés régulièrement dans le concert, serviront surtout d’ancrage à un public qui, soit par nostalgie, soit par méconnaissance de EMB, serait désarçonné par le nouveau son d’Editors. Mais il faut bien reconnaître aussi que, même ces anciens morceaux ne sonneront pas comme ils le faisaient jusqu’alors, et seront emportés dans le même puissant torrent que les autres. Bien sûr, on est tous heureux d’entendre des chansons formidables comme Bones, The Racing Rats ou Blood, ou encore le puissant Smokers Outside the Hospital Doors, mais il faut bien reconnaître qu’Editors est passé à autre chose… et qu’on ferait bien tous d’en faire autant.
A un moment, derrière nous, un vieux fan pique une grosse colère : « Mais où sont les fans ? Il n’y a pas de fans dans cette salle ! ». Il nous fait rire, et il nous attriste aussi, parce que clairement on n’est pas ici pour écouter la musique que faisait Editors hier, aussi belle ait-elle été, aussi satisfaisante soit-il de l’entendre à nouveau – et ça sera bien sûr le cas lors du rappel, qui sera fait pour ça, pour lui, le fan en colère. On est là pour entendre l’Editors d’aujourd’hui et qui sait, peut-être de demain. Et pour ça, on aura été gâtés, plus que gâtés même ce soir.
Alors oui, consolation pour le vieux fan, il y a ces derniers trois titres, qui ressemblent à une signature en bas d’un contrat déjà parfaitement rempli par Tom Smith et son groupe. Ce rappel nous remémore qu’Editors a été une belle formation post-punk, qui a conduit le retour sur le devant de la scène de cette musique des années 80, aux côtés d’un Interpol par exemple. Et, Papillon, la conclusion de la soirée en forme d’apothéose – les bras sont levés, les balcons sont debout, le plancher de la salle tremble sous nos jambes – est toujours l’une des plus belles chansons qui soient : il est si doux de danser ainsi, les larmes aux yeux, sur une version étendue de cette « tuerie » idéale.
La meilleure conclusion possible à un concert qui a replacé Editors dans la liste des groupes les plus pertinents de notre époque. Peut-être un grand groupe…
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot