The 1975 s’est adjoint les services d’un des producteurs les plus influents du moment pour un nouvel album foncièrement dansant et rétro, sur lequel le groupe avance sans masque, affichant ses ambitions pop avec une franchise assumée.
On hésite toujours un peu au moment d’aborder The 1975, un groupe sur lequel personne n’est encore tout à fait d’accord. D’abord parce qu’il a parfois été brandi comme sauveur du rock par la part la moins informée du grand public, mais aussi parce que le retour de bâton des critiques les plus pointus a eu tendance à minimiser le savoir-faire soul pop accrocheur et, oui, assez clichouille de la bande de Matt Healy. Un son propret, ni original ni particulièrement enthousiasmant, avec des singles taillées la rotation virale, certes, mais rien de tout cela n’aurait vraiment permis de honnir ou vénérer le groupe.
Or, Being Funny In a Foreign Language est peut-être leur album le plus juste à ce jour, et où l’exécution du projet semble le plus en accord avec ses préoccupations. On y entend les anglais faire de gros poutous bien baveux à tous les clichés que leurs réalisations précédentes les faisaient mal embrasser avec un flingue sur la tempe. Au programme, quelques gros tubes dance-pop rétros à souhait et dont la prévisibilité totale n’entame pas nécessairement l’efficacité (Looking For Somebody (To Love), I’m In Love With You), mais aussi des moments où le souci du détail de Jack Antonoff (sorcier en chef de Bleachers et bras droit de studio pour St Vincent, Lorde, Taylor Swift et Lana Del Rey) intervient particulièrement à propos. Part Of The Band, malgré un texte souvent hasardeux, charme par l’urgence de ses arrangements de cordes et sa rythmique à nu. All I Need To Hear et Human Too sont de beaux exercices dans un registre de ballade piano-voix. Un format très convenu dont seules de bonnes compositions peuvent permettre de tirer parti. Il se trouve que c’est le cas pour ces deux chansons.
Bien entendu, The 1975 n’hésitent que rarement à mettre les deux pieds dans un plat qu’on serait tentés de servir en pièce de résistance à un banquet pour cyniques assoiffés de sang. Wintering sonne comme si Coldplay essayait de gonfler ses muscles devant le miroir pour ressembler à Springsteen, About You est le genre de sous-Heroes qui serait sans doute plus fun chez Alex Cameron (malgré la production très compétente d’Antonoff, il manque quelques grains de folie pour que la chanson prenne vraiment son envol) et Happiness a un gros goût de tupperware eighties… mais c’est voulu, on s’en doute. En revanche, When We Are Together clôt l’album sans pour autant faire partie de ses meilleurs moments, ce qui laisse inévitablement sur une note un peu flottante et flaccide. En ce qui concerne les textes, la prose de Healy est le plus souvent moins incisive et plus naïve qu’il ne semble le penser, mais il y a un charme à trouver dans ce premier degré malhabile qui nous cause d’amour, de sincérité, d’amour, d’identité dans le monde moderne, d’amour, de chagrin et, parfois, d’amour. Certains clichés existent pour une raison.
S’il y fort à parier que Being Funny in a Foreign Language n’éclaircira guère les dissensions autour des mérites subjectifs du groupe, il permettra à tout amateur de pop à l’ancienne de constater que The 1975 sont parfaitement recommandables en la matière, du moment qu’on sait à quoi s’attendre. Après tout, que serait la piraterie punk sans quelques belles institutions de yacht rock harmonieux à faire chavirer ? Même si un virement de bord n’est jamais à exclure, The 1975 s’inscrivent pour l’instant très clairement dans le second camp. Néanmoins, tant que cela demeurera leur but avoué, nous serons bien malhonnêtes de les en blâmer.
Mattias Frances