Le 11 octobre dernier, notre envoyé spécial à Londres, Ordell Robbie assistait, des étoiles dans les yeux, au concert de Morrissey à l’O2 Academy de Brixton. Il nous raconte tout ça comme un vrai fan, avec force détails…
A Londres, Morrissey aura donc rempli le Palladium et la O2 Academy Brixton (ex-Brixton Academy) et se sera donc produit devant environ 7200 personnes. Dans un contexte une fois de plus troublé, marqué par les attaques de la presse anglaise contre ses positionnements politiques débattables et par un retour de résidence à Las Vegas. Comme son idole Elvis… mais ce ne fut pas la plus belle période du King, comme le rappelle le récent biopic de Baz Luhrmann. De plus, un album (Bonfire of Teenagers) a été enregistré sans trouver de label et est en partie interprété live en attendant une publication (qui ne viendra pas ?). Mais au moins ce dernier point évite-t-il aux retrouvailles scéniques de la Brixton Academy le simple statut de tour de piste nostalgique pour remplir le tiroir-caisse des tournées de reformation des idoles (Roxy Music, 72 heures plus tard dans la même ville) et disciples (The Libertines à Paris dans quelques jours) du Moz.
En l’absence d’une première partie, le concert est précédé d’un long clip introductif débutant par des extraits d’Apocalypse Now montés au son d’un monument respirant le Viet-Nam de la première à la dernière note (Search and Destroy des Stooges). La suite ? Un Who’s Who ? des influences morrisseyiennes : Eddie Cochran chantant She’s something else, Vince Taylor, les New York Dolls et leur Looking for a kiss, T Rex et Children of the revolution, les pionniers du punk Ramones, les Sex Pistols en probable double clin d’œil au décès récent de la Reine (God Save the Queen) et à l’importance formatrice du mythique concert du groupe à Manchester… Avec la présence inattendue de Bruce Lee tant on imaginait le Moz plus fasciné par Bowie et George Best (tous deux « projetés » plus tard dans la soirée) que par « le Petit Dragon ».
Puis le Moz arrive sur scène en smoking, avec une rose sur la boutonnière. Et se présente en mode victimaire. Mais cela ne dure heureusement qu’une seconde, le temps d’ouvrir le concert en rappelant avec How soon is now ? qu’il fut la moitié d’un des plus importants groupes du rock anglais. Accompagné d’un groupe empilant diverses périodes de sa carrière solo (Alan Whyte, Jesse Tobias, Gustavo Manzur). On le verra mimer clope au bec l’ennui des conversations de Our Frank… avant de jeter sa cigarette au public. Ironiser sur la possible non-sortie de son album… et sur le classique smithien Half a Person : « Ce morceau me rappelle Kings Cross et Pentonville Road en 1986… et rien d’autre ».
L’accueil du doublé First of the gang to die/Irish Blood English Heart, plus bruyant et enthousiaste que celui d’un How soon is now ?, accréditerait l’idée d’un public de Morrissey solo pas uniquement composé de nostalgiques des Smiths. Et d’un nouveau contingent de fans amené par You are the quarry. Le public de la Brixton Academy fut multigénérationnel là où, au vu des premiers comptes-rendus de la tournée, on imaginait un dernier carré d’anciens combattants.
La setlist alterna d’ailleurs habitués des prestations scéniques du Moz et morceau moins attendus ou plus joués depuis longtemps. Dans la première catégorie, la présence d’un Shoplifters of the world unite recyclant en partie Children of the Revolution était amusante si on repensait au clip introductif. Les vocalises de Please please please let me get what I want, rappelant que sa voix s’est améliorée depuis les débuts des Smiths, conjuraient les paroles d’auto-apitoiement du Moz sur sa solitude qui avaient précédé le morceau. Dans la seconde catégorie, le chef d’œuvre du rock anglais des années 1980 fut présent au travers d’un « petit » morceau, ce Never had no one ever évoquant l’effroi des rues mancuniennes. Ou le plaisant retour live de The Loop, face B de la période Kill Uncle aux vibrations à la Chris Isaak. Et surtout Have-a-go merchant, excellente face B de la période Vauxhall and I.
Quant aux titres inédits… Sure enough the telephone rings est un de ces morceaux de rock montrant les muscles présents sur bien des albums du Moz. S’il n’est pas le meilleur, il n’est pas non plus le pire. Rebels without applause est aussi pas mal en dépit de son pompage (autocitation ?) de Cemetary Gates. I am Veronica est le titre le plus accrocheur du lot mais il y a une part de facilité empêchant de totalement adhérer au morceau. Reste le cas Bonfire of Teenagers, une chanson qui ne facilitera sans doute pas la sortie de l’album. Contrairement à ce qu’écrivent certains, le problème n’est pas d’avoir écrit sur les attentats de Manchester sous l’angle de la fureur éternelle et en attaquant la posture « vous n’aurez pas ma haine » dominante dans les discours officiels : lors des attentats de 2015, j’ai croisé des personnes loin d’être membres du fan club de Nicolas Sarkozy dans le même état d’esprit. C’est plutôt la main lourde du texte, notamment dans l’allusion à la reprise par la foule mancunienne d’Oasis (Don’t look back in anger) suite aux attentats. De là à y voir une part de jalousie vis-à-vis des frangins Gallagher… Des opinions que j’espère affiner si un jour tout ça sort sur disque.
Le concert s’acheva en rappel sur un Sweet and tender hooligan enragé et un Moz enlevant le haut, tandis que les videurs semblaient sur le guet pour empêcher toute tentative des spectateurs de monter sur scène. Un concert qui a rappelé que certains sont capables de produire des prestations scéniques à la hauteur de la dévotion et du lien personnel puissants engendrés par leur œuvre, auprès d’un public chantant chaque couplet comme un hymne (coucou Alex Turner !). Et qu’un concert de Morrissey n’avait pas besoin d’être un Greatest Hits des Smiths et des années solo pour être réussi.
Texte : Ordell Robbie
Photos : Ordell Robbie / Captures d’écran YouTube